Page:Revue de métaphysique et de morale - 18.djvu/548

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des plus grands biens[1]. Mais la multitude, incapable de se déprendre de ce qui est chez elle et à ses yeux le propre de la vertu, n’accepte que des dieux conformes à cet idéal et regarde comme absurde tout ce qui s’en écarte.

Prends l’habitude de penser que la mort n’est rien relativement à nous. Il est en effet de l’essence d’un bien ou d’un mal quelconque d’être senti : or la mort est la privation de toute sensibilité. Par conséquent la connaissance de cette vérité que la mort n’est rien pour nous, nous rend capables de jouir de cette vie mortelle. en supprimant pour mous la perspective d’une durée infinie, et en nous enlevant le désir de l’immortalité. Car il ne reste plus rien à redouter dans la vie, pour qui a vraiment compris que hors de la vie il n’y a rien de redoutable. On prononce donc de vaines paroles quand on soutient que la mort est à craindre, non pas parce qu’elle sera douloureuse étant réalisée, mais parce qu’il est douloureux de l’attendre. Ce serait en effet une crainte vaine et sans objet que celle qui serait produite par l’attente d’une chose qui, actuelle et réelle, ne cause aucun mal. Ainsi celui de tous les maux qui nous donne le plus d’horreur, la mort n’est rien pour nous, puisque, tant que nous existons nous-mêmes, la mort n’est pas, et que, quand la mort existe, nous ne sommes plus. Donc la mort n’existe ni pour les vivants ni pour les morts, puisqu’elle n’a rien à faire avec les premiers, et que les seconds ne sont plus. Mais la multitude tantôt fuit la mort comme le pire des maux, tantôt l’appelle comme le terme des maux de la vie. Le sage, au contraire, n’implore pas de vivre et il n’a pas peur non plus de ne plus vivre : car la vie ne lui est pas à charge, et il n’estime pas non plus qu’il y ait le moindre mal à ne plus vivre. Aussi, voici quelle est son attitude quant à la longueur de la vie. De même que ce n’est pas toujours la nourriture la plus abondante que nous préférons, mais parfois la plus agréable, pareillement ce n’est pas toujours la plus longue durée qu’on veut recueillir, mais la plus riche en agréments. Quant à ceux qui conseillent aux jeunes gens de bien vivre et au vieillards de bien finir, leur conseil est dépourvu de sens, non seulement parce que la vie a du bon même pour le vieillard, mais parce que le soin de bien vivre et celui de bien mourir ne

  1. Parce que la connaissance exacte de la nature des dieux nous apprend qu'ils ne sauraient nous faire aucun mal, et nous procure ainsi l'ataraxie, tandis que des opinions fausses sur la nature des dieux font qu'ils deviennent pour nous un sujet d’épouvante perpétuelle (Voir Usener préf., p. XX-XXI. Il faut un point en bas après αποφάσεις, p.60, I. 10).