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Page:Revue de métaphysique et de morale - 2.djvu/45

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F. RAVAISSON.de l’habitude.

propre et l’énergie diffuse des ramifications du système vasculaire.

Enfin cet état de nature, où l’habitude réduit la pensée, comme elle y ramène la volonté et le mouvement, c’est la condition et la source première de toute pensée distincte, comme c’est celle de toute volonté expresse et de tout mouvement déterminé. Comment délibérer de saisir dans le présent ou de ressaisir dans le passé une idée absente ? Ou l’on cherche ce qu’on sait, ou l’on ne sait ce qu’on cherche. Avant l’idée distincte que cherche la réflexion, avant la réflexion, il faut quelque idée irréfléchie et indistincte, qui en soit l’occasion et la matière, d’où l’on parte, où on s’appuie. La réflexion se replierait vainement sur elle-même, se poursuivant et se fuyant à l’infini[1]. La pensée réfléchie implique donc l’immédiation antécédente de quelque intuition confuse où l’idée n’est pas distinguée du sujet qui la pense, non plus que de la pensée. C’est dans le courant non interrompu de la spontanéité involontaire, coulant sans bruit au fond de l’âme, que la volonté arrête des limites et détermine des formes.

En toute chose, la Nécessité de la nature est la chaîne sur laquelle trame la Liberté. Mais c’est une chaîne mouvante et vivante, la nécessité du désir, de l’amour et de la grâce.

VI. En résumé, l’Entendement et la Volonté ne se rapportent qu’à des limites, à des fins, à des extrémités. Le mouvement mesure les intervalles. L’intervalle implique la continuité, indéfiniment divisible, du milieu. La continuité implique le moyen terme indivisible, où, dans toute l’étendue du milieu, à quelque distance que ce soit de l’un ou de l’autre extrême, les extrêmes se touchent, et les contraires se confondent. L’intelligence des limites, comme de limites distinctes, enveloppe donc l’intelligence des milieux ; et le vouloir d’une fin, le vouloir des moyens. Ce vouloir et cette intelligence ne peuvent être encore médiates, et ainsi à l’infini. Jamais on n’épuiserait, et jamais par conséquent on ne réintégrerait le milieu, indéfiniment divisible. L’intelligence et la volonté médiate des extrémités enveloppent donc une intelligence et une volonté immédiates des milieux. L’intelli-

  1. Aristot., Éth. Eud. VIII, 14 : Οὐ γὰρ ἐβουλεύσατο βουλευσάμενος, καὶ τοῦτ’ ἐβουλεύσατο, ἀλλ’ ἔστιν ἀρχή τις οὐδ’, ἐνόησε νόησας πρότερον νοῆσαι, καὶ τοῦτο εἰς ἄπειρον. Οὐκ ἄρα τοῦ νοῆσαι ὁ νοῦς ἀρχὴ, οὐδὲ τοῦ βουλεύσασθαι βουλή. Voy. sur ce point, comme aussi sur le caractère de la nature, le profond métaphysicien Cesalpino, Quæst. peripatet. II, 4