Page:Revue de métaphysique et de morale - 28.djvu/671

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D’abord, il faut que l’État ait pris assez de développement pour qu’une telle entreprise ne semble pas dépasser ses forces. Il faut que sa sphère d’influence soit déjà très étendue pour qu’on ait pu songer à l’étendre encore, et surtout dans ce sens. Il s’agit, en effet, de le faire intervenir dans un ordre de manifestations sociales que leur complexité et leur mobilité rendent réfractaires à une réglementation invariable et simple. Tant donc qu’on n’avait pas vu l’État s’acquitter de tâches à peu près aussi complexes, il ne pouvait être question de l’appeler à celle-là. En second lieu, si développé qu’il soit, il ne peut rien si, par leur organisation, les entreprises économiques n’offrent pas de prise à son influence. Tant que, par suite du peu d’étendue de chacune d’elles, elles sont multipliées à l’infini, tant que chaque citoyen presque a la sienne, cette dispersion rend impossible toute direction commune. Tant que chacune d’elles s’abrite dans l’enceinte domestique, elles échappent à tout contrôle social. L’État ne peut pénétrer dans chaque demeure pour y régler les conditions dans lesquelles doivent se faire les échanges et la production. Il faut donc que le commerce et l’industrie aient déjà atteint, par un mouvement spontané, un commencement de centralisation, pour que certains des centres directeurs de la société puissent les atteindre et y faire sentir d’une manière régulière leur action. En un mot, il faut que le régime de la grande industrie soit constitué.

Telles sont les trois conditions que suppose le socialisme tel que nous l’avons défini. Or, elles sont toutes trois de date récente. La grande industrie est d’hier, et c’est seulement quand elle eut pris cette forme qu’elle acquit une importance vraiment sociale. Tant qu’elle était éparse en une multitude de petites entreprises indépendantes les unes des autres, comme chacune d’elles ne pouvait avoir d’action au delà d’un cercle très limité, la manière dont elles fonctionnaient ne pouvait pas affecter gravement, du moins en principe, les intérêts généraux de la société. D’ailleurs, jusqu’à des temps récents, l’ordre religieux et public primait à un tel point l’ordre temporel et économique que celui-ci était relégué au bas de la hiérarchie sociale. Enfin, le développement de l’État est lui-même un phénomène nouveau. Dans la Cité, il est encore tout rudimentaire. Sans doute son pouvoir est absolu, mais ses fonctions sont très simples. Elles se réduisent presque à administrer la justice et à faire ou à préparer les guerres. C’est là du