Page:Revue de métaphysique et de morale - 3.djvu/162

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l’action des causes morales se concilie tout aussi bien avec cette loi que l’action des causes physiques. Car l’activité physique elle-même repose sur un fondement d’essence morale. Le principe de toute action comme de tout changement est, en effet, la tendance primordiale de l’anormal à se nier, à s’anéantir lui-même, et cette tendance est d’essence morale, puisqu’elle est, on peut le dire, un jugement en action. Il n’y a donc point de réalité purement physique. N’est-ce pas le même principe, en effet, qui agit en nous et dans cette nature que nous croyons toute physique ? Or, comment ce principe, qui possède une essence morale en nous, pourrait-il en être ailleurs tout à fait dépourvu ? Il faut, par conséquent, bien remarquer que l’opposition du physique et du moral est l’opposition, dans la même réalité, entre ses éléments anormaux, qui en constituent la nature physique, et la négation de l’anomalie, qui, arrivée à la conscience d’elle-même, n’est pas autre chose que l’action morale. C’est donc la tendance originaire de l’anormal à se nier et à s’anéantir lui-même qui rend possible l’action des causes morales, qui leur confère la puissance de produire des effets.

Nous le verrons plus clairement encore si nous examinons notre propre volonté et notre activité. C’est en nous-mêmes, en effet, que nous découvrons avec le plus d’évidence cette vérité que toute existence anormale implique une contradiction intime avec elle-même, qu’elle repose sur deux tendances opposées l’une à l’autre et qu’elle n’est possible enfin que par une illusion et comme apparence. Nous sentons d’une manière immédiate l’anomalie de notre être dans le mal et dans la douleur. Il est évident, par suite, que nous ne pourrions pas exister si l’anomalie ne se déguisait pas à nos propres yeux, si la vie ne nous apparaissait pas comme un bien. C’est sur cette’apparence que sont greffés les tendances et les instincts vitaux de notre être, et d’abord l’instinct de la conservation ; il est fondé sur l’illusion qui nous fait regarder la mort comme le plus grand des maux, tandis qu’en réalité, comme l’avaient déjà remarqué les anciens sages, il n’y a plus de maux pour celui qui n’existe plus. De semblables illusions sont aussi à la racine de toutes les impulsions qui tendent à la conservation de l’individu et de l’espèce, et qui nous apparaissent comme des besoins naturels qu’il est bon ou même nécessaire de satisfaire. Précisément parce que la tendance primordiale de notre être va à l’anéantissement de soi, nous devons être doués d’instincts qui nous poussent à une affirmation active de nous-