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J. LAGNEAU.QUELQUES NOTES SUR SPINOZA.

le tout n’a dans Spinoza rien de mystique, comme dans le néoplatonisme, rien d’ineffable qui relève du sentiment. Son Dieu est le ciment du monde, perceptible à la Raison, à la faculté suprême de connaître la loi, c’est-à-dire l’unité. Son système est le plus héroïque effort pour remplacer le dedans par le dehors, pour tirer du dehors, de l’objet, de l’intelligence, de quoi nous passer du dedans, du sujet, du sentiment. Il ne supprime pas notre vie intérieure, mais il la fait sortir de l’autre, il tire une religion de la science absolue, la religion positive par excellence, et cette religion est une pratique, pour lui toute la pratique. Il introduit ainsi le sentiment dans la vie par en haut, et par en haut seulement, rationnel, pour combattre et supprimer le sentiment d’en bas, imaginatif. Contraste absolu avec Platon et les subjectivistes qui l’admettent à tous les degrés, comme auxiliaire et initiateur. Pour ceux-ci, la pénétration des deux mondes, l’immanence est parfaite ; elle ne peut pas l’être pour Spinoza ; il y a un abîme entre le subjectif condamné, et l’objectif vrai. Pour eux, tout, Dieu, est déjà dans le point de départ, dans le mode, dans l’individu, mais au fond, dans son sentiment. Pour Spinoza non ; c’est un acosmisme, quoiqu’il fasse le monde nécessaire. Son système est la démonstration vivante de l’impossibilité d’une métaphysique et religion fondées sur l’objectif pur (positivisme).

La pensée spinozienne préexistait peut-être à l’influence cartésienne : il serait intéressant de se demander ce qu’aurait été Spinoza sans Descartes. La théorie de l’amour aurait subsisté, car il n’y en a pas trace chez le pur spéculatif Descartes ; le système aurait été quand même une éthique et une théorie de l’union religieuse de l’âme avec le tout (voir le fameux chap. xviii de la 2e p. du Tract. brev.). Nous aurions eu aussi Dieu substance infime donnée, la nécessité absolue, la suprématie inconditionnelle de l’intelligence, comme dans Aristote et Platon, la matière religieuse comme quelque chose d’inférieur, mise au rang de mode peut-être, de phénomène peut-être même, comme dans Leibniz, dans tous les cas de mode nécessaire. (La confusion des premières rédactions de Spinoza n’empêche pas qu’il n’eût en lui-même et sans Descartes ce besoin de clarté absolue qui gisait dans son besoin pratique de certitude absolue et morale. Son manque de netteté tient à la profondeur même de sa pensée, jamais satisfaite de la partie qu’elle tient, et y sentant toujours le rapport du reste,