Page:Revue de métaphysique et de morale - 3.djvu/409

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
389
J. LAGNEAU.QUELQUES NOTES SUR SPINOZA.

Son originalité est d’avoir vu l’irréductibilité des attributs élémentaires (simplicité des idées, platoniciens), mais il n’a pas poussé cet idéalisme jusqu’à la pleine conscience, c’est-à-dire jusqu’à se demander si ces attributs n’auraient pas leur racine dans la pensée même, sorte de prisme à réfracter la substance, qui serait ainsi non plus comme pour lui une expression, mais une réalité, ou plutôt une puissance.

Le système de Spinoza est la rentrée en scène dans la philosophie purement négative, positive de Descartes, de l’idée métaphysique d’Aristote. C’est une revanche de la philosophie universelle, grecque, orientale, chrétienne contre la positivité française. Le doute provisoire de Descartes est en réalité un rejet définitif, une rupture avec la tradition humaine. Spinoza y rentre et fait voir que l’idée scientifique a plus à gagner qu’à perdre à cette rentrée. En réalité, Descartes, comme le positivisme, comme Kant, laisse derrière le domaine du connaissable un autre domaine inconnaissable, mais contenant pourtant ou pouvant contenir du réel encore : place libre pour la croyance, pour la religion. Spinoza nie cela, incorpore tout à l’intelligible, forme une infinie synthèse à la fois métaphysique et positive. Il est à la fois le plus traditionnel et le plus original. Comment l’hébraïsme aristotélique de Maïmonide (les attributs, simples noms, n’ayant rapport qu’à la raison) conduisait au kantisme.

Spinoza montra l’intotalité et en partie, par cela même, l’invérité comme science même, de la science pure de Descartes.

Le transcendantalisme de Kant est en même temps un transcendantisme. À l’invincible relativité de la forme il oppose l’insaisissable absolu d’un « en soi » qui échappe à nos prises et que nous devons subir sans le comprendre dans l’ordre intellectuel et dans l’ordre pratique. Nous sommes donc condamnés à une position subalterne et à une attitude asservie. Au contraire de l’analyse de Kant, celle de Spinoza est une émancipation. Elle a l’air d’établir la fatalité ; en fait, c’est la liberté qu’elle établit en nous faisant atteindre au fond de nous-mêmes le fond même de l’être et suppri-