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J. LAGNEAU.QUELQUES NOTES SUR SPINOZA.

limites où Spinoza l’a conçue, on peut l’accorder avec elle-même. Je crois qu’on le peut. La difficulté que vous y trouvez tient, ce me semble, à ce que vous ne dépouillez pas les termes de Spinoza de tout sens qui ne résulte pas de ses définitions.

Vous dites que dans sa doctrine tout est éternel. Non pas, mais tout est nécessaire, et il y a deux nécessités, celle de l’essence et celle de l’existence. La première seule est éternité ; l’autre n’y a aucun rapport, c’est la nécessité fortuite, contingente des modes, des déterminations singulières et changeantes de la substance, dont l’ensemble seul (mouvement, face constante de l’univers, entendement, etc.) est éternel selon l’existence, ou, pour mieux dire, dure sans fin comme il est sans bornes. Sans doute toutes les essences, même des modes et de leurs affections, sont éternelles, mais à titre de vérités (non de choses existantes), de vérités implicitement contenues dans l’idée éternelle de Dieu, éternel objet de l’entendement et mode éternel comme lui, ou plutôt identique à lui. Les choses correspondantes et par conséquent leurs idées n’existent, n’apparaissent pour disparaître après quelque durée que selon un ordre complètement indépendant de celui des essences, c’est-à-dire de celui selon lequel elles se rapportent aux modes fixes et éternels (perpétuels aussi selon l’existence), et cet ordre du fait est pour nous absolument insaisissable.

Maintenant, quand un mode est réalisé dans cet ordre, c’est-à-dire quand une essence est amenée à l’existence à la fois parce que les autres essences réalisées la déterminent et parce que la substance la pose absolument, cette essence existera par la seule force de sa définition aussi longtemps que la même force dans la totalité des autres essences existantes de même attribut ne l’en empêchera pas, c’est-à-dire ne l’exclura pas logiquement.

Cette force de la définition est tout ce que Spinoza entend par l’effort pour persévérer dans son être ou volonté dans l’âme et appétit dans l’union de l’âme et du corps. Pour lui il n’y a pas de puissance, de dedans ; tout est dehors, étalé et abstrait, tout est objet. Cependant l’âme, dit-il, s’efforce d’imaginer des choses qui augmentent la puissance du corps dont elle est l’idée, et par suite la sienne, et elle éprouve de la joie ou de la tristesse suivant qu’elle réussit ou non. Cet effort n’est-il pas un mouvement de l’être au-dessus de lui-même, une tendance à s’augmenter, à se dépasser ? Non, ce n’est que la persistance abstraite, l’inertie, comme nous dirions à présent.