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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

sentiment de la nécessité de son être, de sa dépendance avec Dieu et le monde. La question est de savoir : 1° s’il n’y a pas de degrés dans ce sentiment : ainsi l’homme de science a bien aussi le sentiment de son union nécessaire avec le monde dans son ensemble et surtout dans quelques-unes de ses parties, ce par quoi Spinoza mesure la connaissance de Dieu. De même le méditatif, le poète a quelque connaissance et surtout le sentiment (sentit experiturque, Sc. de 23, V) de sa société avec le monde et la loi nécessaire. Spinoza ne reconnaît pas que tout le monde soit conscius sui, Dei, mundi, mais seulement que tout le monde sentit experiturque. La question est précisément de savoir si 2° ce sentiment ne vaut pas la connaissance et si la connaissance n’en est pas un simple mode et une traduction. En ce cas l’âme religieuse et morale par obéissance serait, comme le cœur nous le dit, aussi bien que l’âme philosophe, admise à l’immortalité, puisqu’elle a aussi bien qu’elle le sentiment de sa dépendance. Spinoza n’a connu qu’une des formes possibles de la vraie vie, mais celle-là il l’a connue dans sa vérité, car il a compris qu’en elle, c’est-à-dire dans la vie intellectuelle même, c’est le sentiment qui est la force motrice ; il a fait de la raison une religion, il a même admis sans le comprendre, qu’il y en avait d’autres possibles que celle-là, et il n’est pas douteux que s’il avait été dans l’une de ces autres, il eût pensé aussi être conscient de son salut quoique peut-être par le secours de moyens artificiels, mais ces moyens il les eût acceptés. Il est vrai qu’il n’eût plus été Spinoza alors, mais il n’en eût pas moins cru être en relation avec la vérité absolue. Contre Cousin qui dit (cours de 1829) que dans Descartes on rencontre Dieu partout et qu’il supprime l’homme (confusion de la volonté et du désir) et réduit le monde à peu de chose, — par un paralogisme et un anachronisme, certitude seulement indirecte de l’existence extérieure, et venant après l’autre, à la suite d’un raisonnement [ce qui est faux. Cousin prend un artifice de méthode pour une description de fait], — et ajoute dans sa deuxième édition (His. de la philosophie ou dans les Fragments ?) que cette absorption de l’homme en Dieu était le fait du xviie siècle tout entier. Descartes et la science nouvelle dans ce siècle de mathématiciens n’avaient bien qu’une foi, qu’une religion tout abstraite, le culte du démontré, du clair, et Spinoza est bien en ce sens fils de Descartes ou plutôt de son siècle, et si nous rencontrons l’idée de Dieu partout chez Descartes, comme le dit Cousin, c’est uniquement parce qu’elle