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H. POINCARÉ.L’ESPACE ET LA GÉOMÉTRIE.

Ainsi ce qui caractérise le changement de position, c’est qu’il peut toujours être corrigé par ce moyen.

Il peut donc arriver que l’on passe de l’ensemble d’impressions à l’ensemble de deux manières différentes : 1o involontairement et sans éprouver de sensations musculaires ; c’est ce qui arrive quand c’est l’objet qui se déplace ; 2o volontairement et avec des sensations musculaires ; c’est ce qui arrive quand l’objet est immobile, mais que nous nous déplaçons, de telle façon que l’objet a par rapport à nous un mouvement relatif.

S’il en est ainsi, le passage de l’ensemble à l’ensemble n’est qu’un changement de position.

Il résulte de là que la vue et le toucher ne nous auraient pu donner la notion d’espace sans le secours du « sens musculaire ».

Non seulement cette notion ne pouvait dériver d’une sensation unique, mais d’une suite de sensations ; mais encore un être immobile n’aurait pu jamais l’acquérir puisque, ne pouvant corriger par ses mouvements les effets des changements de position des objets extérieurs, il n’aurait eu aucune raison de les distinguer des changements d’état. Il n’aurait pu l’acquérir non plus si ses mouvements n’étaient pas volontaires ou s’ils n’étaient pas accompagnés de sensations quelconques.

Conditions de la compensation. — Comment une pareille compensation est-elle possible de telle façon que deux changements d’ailleurs indépendants l’un de l’autre, se corrigent réciproquement ?

Pour qu’elle se produise, il faut évidemment que les diverses parties de l’objet extérieur d’une part, les divers organes de nos sens d’autre part, se retrouvent après le double changement, dans la même position relative. Et pour cela il faut que les diverses parties de l’objet extérieur aient également conservé, les unes par rapport aux autres, la même position relative et qu’il en soit de même des diverses parties de notre corps les unes par rapport aux autres.

En d’autres termes, l’objet extérieur, dans le premier changement, doit se déplacer à la façon d’un solide invariable et il en doit être de même de l’ensemble de notre corps dans le second changement qui corrige le premier.

Telles sont les conditions dans lesquelles la compensation peut se produire.

Mais qu’on ne se méprenne pas sur la portée du raisonnement qui précède.