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mené à bonne fin par son auteur. Ce sont des fragments, des notes griffonnées par Pascal dans les répits que lui laissait sa maladie, interrompues souvent par un début de crise. Concis, resserrés, vibrant d’une émotion qui, dans un rythme alternatif, fait jaillir les pensées ou jaillit d’elles, ces fragments ont une force et une clarté sans égale, et il n’y a pas lieu de croire que ces qualités se fussent perdues dans une rédaction définitive. Le style de Kierkegaard n’a pas cette frappe puissante ni cette densité. Pour lui — du moins dans la première phase de sa production littéraire — le travail de composition était une cure : tant qu’il rédigeait, la mélancolie n’avait pas de prise sur son âme. Aussi prenait-il son temps. Et puis, il aimait la langue pour elle-même, il jouait avec elle sans prendre garde, quelquefois, que le lecteur, lui, était peut-être un peu plus pressé, impatient d’embrasser dans son ensemble la suite des idées, de voir à quoi tout cela pourrait bien aboutir. Des digressions lyriques, des descriptions de la nature ou des épisodes empruntés à la vie de tous les jours viennent s’entrelacer à la chaîne des développements. La passion, qui est à la base de sa production, comme de celle de Pascal, se fait sentir plutôt sous la forme d’un frémissement continu que sous celle de crises émotives. Ce n’est que dans la dernière période de sa production que ce frémissement se change en tremblement de terre.

Si, dans cette étude comparative, il m’arrive de parler un peu plus longuement du penseur danois, c’est que je m’adresse à des lecteurs français. En France, l’étude de Pascal a suscité une production tellement abondante, tellement solide et documentée que prétendre fournir un apport ce serait vraiment offrir des chouettes aux Athéniens. Qu’il me soit permis, à ce propos, d’exprimer mon admiration pour le Port-Royal de Sainte-Beuve, que je viens de relire à près de 60 ans de distance et qui, après tant de travaux parus depuis, garde toute sa fraîcheur et toute sa pénétration. Il faut bien aussi que je rende hommage à cette splendide édition des Œuvres de Pascal que nous devons à M. Léon Brunschvicg et à ses collaborateurs MM. Pierre Boutroux et Félix Gazier et dont l’Introduction et les annotations fournissent des éclaircissements d’une grande valeur. Je sais gré surtout à M. Brunschvicg d’avoir, dans une Introduction aux Pensées, exposé de façon extrêmement intéressante la suite logique des idées qui aurait probablement été celle de Pascal dans l’Apologie qu’il se proposait d’écrire. Dans les lignes qui suivent