Page:Revue de métaphysique et de morale - 30, 1-2.djvu/249

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seule la vraie Religion lui fournira la clef de sa nature avec les voies et moyens de résoudre les divisions intimes qui le déchirent. Pascal tient surtout à ce que l’homme arrive à se sentir seul dans un monde infini d’où n’émane aucune voix de compassion ou d’encouragement. Le trouble, le désarroi, l’angoisse qu’éprouvait Pascal en face des grandes énigmes lui fit prendre la seule voie qui s’ouvrait, l’issue du christianisme. Sans doute, le christianisme contient des mystères à côté des révélations qu’il apporte aux hommes. Mais si Dieu ne nous avait rien laissé ignorer du mystère de notre vie dans l’univers, n’eût-il pas du même coup supprimé dans l’âme cet effort, ce combat, ce courage d’oser et de jouer son va-tout, qui lui permettent seuls de mériter l’éternité ?

Pascal ramène à deux types principaux les hommes qui tentent de résoudre, par les lumières naturelles, les grandes énigmes de l’existence. Les uns s’attachent à la raison pensante et au devoir qui sont proprement la grandeur et le point solide dans l’homme, et le reste ils le tiennent pour négligeable. Leur représentant classique, c’est Épictète le Stoïcien. Les esprits de l’autre type s’accommodent des fluctuations de la vie, ils pratiquent le carpe diem et s’en tiennent d’ailleurs aux opinions reçues, se rendant bien compte que tout est sujet à vicissitude. Ils se reposent avec délice dans la certitude de n’être sûrs de rien. Montaigne est le parangon des insouciants conscients.

L’étude de ces deux types fut pour Pascal une préparation au corps à corps où il se proposait, dans ses Pensées, d’empoigner et de secouer l’incrédule, afin de le mettre dans l’état critique où il n’apercevrait qu’une seule et unique porte de salut — celle qu’avait trouvée Pascal lui-même. Ce lui fut une déception de voir combien était peu appréciée l’étude de la nature humaine, la recherche de ses types et de leur utilité pratique. « Quand j’ai commencé l’étude de l’homme, j’ai vu que les sciences abstraites ne sont pas propres à l’homme, et que je m’égarais plus de ma condition en y pénétrant que les autres en les ignorant. » Il avait espéré, alors, trouver des compagnons plus nombreux en l’étude de l’homme, mais ici, contre son attente, il constata plus de détachement encore que dans le cas de la géométrie (fr. 144 Br.). Lui-même se jeta à corps perdu dans la nouvelle étude se désintéressant de plus en plus de ses premiers travaux scientifiques. Dans une lettre au célèbre mathématicien Fermat, il écrit vers la fin de sa vie (10 août 1660) que, tout en con-