Page:Revue de métaphysique et de morale - 9.djvu/120

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tenir la confiance du peuple par des subterfuges, tels que remises d’impôt, réformes illusoires, exécutions retentissantes. Mais ce n’est toujours que dans la mesure où le peuple a confiance que la Monarchie dure. Tout despotisme repose donc non point sur des gardes et sur des forteresses, mais sur un certain état d’esprit. La vraie garde du despote, ce sont les âmes serviles sur lesquelles il règne.

Nous appellerons âme monarchique l’âme qui contribue ainsi, pour sa part, et par les opinions et les croyances qu’elle a, à fortifier le despotisme. Nous y apercevons des traits nombreux : la puissance de l’habitude, l’indécision, la facilité à se laisser corrompre, l’égoïsme et beaucoup d’autres ; nous négligerons pour le moment tous ces caractères dérivés et nous nous en tiendrons à ce qui est essentiel la confiance ou la crédulité, ou encore la foi, c’est-à-dire une disposition à régler ses opinions d’après celles d’autrui, et notamment d’après celles de quelques-uns qui passent pour plus savants et plus sages que les autres.

Ce que je vous invite à remarquer tout de suite, c’est que cet état d’esprit est tout à fait d’accord avec ce que l’on appelle communément la Religion, et ce que l’on doit appeler exactement la Religion révélée. La Religion révélée exige en effet que l’on règle ses opinions sur les opinions contenues dans de certains livres dits sacrés, ou enseignées par de certains hommes qui sont dits dépositaires de la parole divine. Cette brève remarque nous explique déjà pourquoi Religion et Monarchie se tiennent et se soutiennent par leur nature même, encore que par accident et pour un temps elles semblent parfois lutter l’une contre l’autre.

La République est le gouvernement naturel, celui qui naît de l’absence de despotisme. Supposons le despote renversé par quelque cause, et le peuple décidé à n’en pas supporter un autre, il n’en résultera pas un état d’anarchie durable ; car l’anarchie, état où chacun vit pour lui seul, sans s’unir et se lier à d’autres, est par sa nature instable. C’est ce qu’il faut d’abord bien comprendre, si l’on veut fonder la République en Raison et en Justice.

Représentons-nous des hommes vivant les uns à côté des autres, sans aucun contrat, sans aucune loi. Les richesses seront certainement inégales, par la suite de la différence des terrains, de l’inégalité des forces, de l’inégalité des courages. Des hommes auront faim, des hommes auront froid. Du besoin résulteront le vol, le pillage.