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Page:Revue de métaphysique et de morale - 9.djvu/23

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F. RAVAISSON.TESTAMENT PHILOSOPHIQUE.

nité que tout a commencé. Comment ? On ne le sait et peut-être on ne le saura jamais. Un indice singulier s’en trouve dans un fait relevé, au rapport de M. Secretan, par un éminent paléontologiste aux travaux duquel celui-ci fait allusion dans la préface de son traité de la Liberté : ce fait est que, chez les races primitives d’animaux, avant l’apparition de l’homme, il y avait, dans leur conformation et leurs instincts, plus de traits d’humanité que dans celles qui suivirent. Au commencement, avait dit jadis Anaxagore, tout était ensemble ; l’intelligence vint qui débrouilla tout. Dans les anciennes races l’humanité était comme en puissance, en un état confus d’enveloppement ; une fois dégagée du chaos, elle a laissé les animaux à leur infériorité. D’une manière analogue, on voit les animaux et particulièrement les plus voisins de l’homme, les quadrumanes, montrer dans leurs premières années des dispositions à demi humaines qui ensuite disparaissent. Il semble que la nature, ou plus précisément l’âme universelle, à chaque parturition, au moins aux degrés les plus élevés de l’animalité, fasse pour atteindre son dernier but un effort supérieur au résultat immédiat qu’elle peut atteindre pour renouveler ensuite ses tentatives.

Dans les espèces inférieures l’être à peine né se divise et se propage avec une prodigieuse abondance. Dans les espèces supérieures la reproduction est précédée d’une plus longue préparation embryonnaire, vie cachée dans un kyste ou œuf qui l’enveloppe. La préparation ou incubation comprend une suite de métamorphose dans lesquelles l’être traverse des états qui rappellent la succession des degrés antérieurs de l’organisation, comme si la force génératrice se remémorait pour mieux faire tout son travail passé. Cette loi de la durée croissante de la vie préliminaire et cachée est celle que Carus a appelée la loi du mystère, celle qu’on nomme aujourd’hui la loi de l’accélération embryogénique et qui peut-être serait plus clairement dénommée la loi du progrès de l’éducation latente embryogénique. Quoi qu’il en soit, le résultat en est que le progrès des espèces consiste en ce que la nature s’approche de son but qui est la création de l’espèce la plus parfaite, image la plus ressemblante de son prototype, par une succession d’enfantements de moins en moins hâtifs, une succession d’enfantements de moins en moins comparables à des avortements.

À chaque degré de l’ascension, le développement est arrêté soit d’une manière, soit d’une autre ; de là les disproportions ou mons-