Page:Revue de synthèse historique, Tome 33, 1921.djvu/26

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ravitailleur, l’agent de liaison, le vaguemestre, tout le petit monde errant des routes, des chemins et des boyaux [1], — où le permissionnaire, lien vivant entre l’âme légendaire du front et celle de l’arrière, se montrent à peine et ne voient nulle part leur action étudiée sérieusement.

Au rébarbatif ouvrage de M. Lucien Graux, s’oppose agréablement l’essai de M. Albert Dauzat, Légendes, prophéties et superstitions de la guerre [2]. Cet aimable petit volume ne nous appartient ici que par un côté. Les rites superstitieux issus de la guerre ou renouvelés par elle méritent une étude à part ; je n’y toucherai pas dans le présent article. M. Dauzat leur fait une place importante. Il ne consacre aux fausses nouvelles proprement dites qu’un peu plus d’une centaine de pages. Vis-à-vis des légendes ou même des superstitions, son attitude rappelle en bien des cas celle des philosophes du XVIIIe siècle ; comme eux il aime à les considérer moins comme des fruits naturels de l’âme populaire que comme des fictions adroitement inventées par des hommes ingénieux, dans le dessein d’incliner à leurs vues l’opinion publique ou tout simplement, — s’il s’agit de certains fétiches tel que le couple illustre de Nénette et Rintintin, — afin de lancer un commerce [3]. Si l’on ne consultait que certains esprits romantiques, on croirait que dans la formation des légendes tout n’est que spontanéité et qu’inconscient ; il est bon que de temps en temps un sceptique vienne nous rappeler qu’il y a eu de par le monde des menteurs habiles qui ont réussi à en imposer aux foules. On lit M. Dauzat avec plaisir, comme on écoute un causeur brillant, qui égrène ses souvenirs et les commente non sans finesse ; il amuse toujours, il fait réfléchir souvent. Ne lui demandons pas des recherches approfondies, appuyées sur une critique sérieuse des sources. Il a préféré effleurer les problèmes, plutôt que de les creuser.

Aussi bien, comment s’étonner que les sujets immenses que s’étaient fixés le docteur Lucien Graux et M. Dauzat n’aient pu être traités par eux, dans leur ampleur, avec toute la précision que l’on est en droit d’attendre de travaux historiques. Une vaste synthèse

  1. Jérôme et Jean Tharaud, La Relève, p. 3.
  2. In-12, Paris, s. d.
  3. Voir, en particulier, le chapitre v (p. 113 et suiv.) intitulé : Légendes utilitaires religieuses et politiques et p. 250. Ai-je besoin d’ajouter que M. Dauzat n’a jamais pensé pouvoir expliquer toutes les légendes de cette façon-là ? Je n’ai voulu qu’indiquer une tendance d’esprit.