Page:Revue de synthèse historique, Tome 33, 1921.djvu/32

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« techniciens spécialistes » : ce peuple n’est pas seulement homicide, il a prémédité ses assassinats. Ainsi une innocente particularité architecturale passe pour la preuve d’un crime savamment mûri. Supposons maintenant que dans un village bâti de la sorte quelques balles, parties d’on ne sait où, viennent à s’égarer. Comment ne pas penser qu’elles ont été tirées à travers les « meurtrières » ? En bien des cas sans doute on le pensa ; et les troupes firent prompte justice des maisons traîtresses et de leurs habitants.

D’autres conjectures de même force entraînèrent des châtiments aussi bien fondés. Or (c’est un point qui semble avoir échappé à M. van Langenhove) du moment où l’erreur avait fait couler le sang, elle se trouvait définitivement établie. Des hommes animés d’une colère aveugle et brutale, mais sincère, avaient incendié et fusillé ; il leur importait désormais de garder une foi parfaitement ferme en l’existence d’« atrocités », qui seules pouvaient donner à leur fureur une apparence équitable ; il est permis de supposer que la plupart d’entre eux eussent reculé d’horreur s’ils avaient dû reconnaître la profonde absurdité des terreurs paniques qui les avaient poussés à commettre tant d’actes affreux ; mais ils ne reconnurent jamais rien de semblable. Encore aujourd’hui l’Allemagne dans sa masse est probablement persuadée que ses soldats en grand nombre sont tombés victimes des guet-apens belges : conviction d’autant plus inébranlable qu’elle se refuse à tout examen. On croit aisément ce que l’on a besoin de croire. Une légende qui a inspiré des actions retentissantes et surtout des actions cruelles est bien près d’être indestructible.

Toutes ces fausses nouvelles se formèrent dans les armées mêmes, sous le feu. M. van Langenhove a fort bien montré comment elles furent transmises vers l’intérieur du pays : d’abord de première main par les lettres des combattants et par les rapports des blessés ; qui, en ces premiers jours de la guerre, eût osé contredire un soldat frappé sur le champ de bataille ? puis de seconde main, par les récits des journalistes et des infirmières. Bien entendu en passant des uns aux autres elles ne manquaient point de s’amplifier et de s’embellir ; surtout les milieux de l’arrière, plus réfléchis, souvent plus instruits, les élaborèrent de façon à mieux les coordonner entre elles et à leur conférer une sorte de caractère rationnel. On s’étonnait parfois que ces Belges, d’apparence si bonhomme, se fussent révélés si méchants ; il se trouva un savant