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RUSSIE.

mains des Anglais entre celles des Russes, et le trafic par caravanes recommence comme aux jours de Rubruquis et de Marco-Polo : ce n’était pas la peine de doubler le cap de Bonne-Espérance et de conquérir l’Inde.

Malheureusement, cette théorie brillante est fondée sur des hypothèses, et présuppose plusieurs faits très-contestables, savoir : que l’Europe trouverait à la fois sûreté et utilité dans un vaste commerce avec les provinces ultrà-caucasiennes, que ces provinces peuvent entretenir avec les Indes des communications promptes et faciles, et que la Russie est en mesure de donner naissance à ce commerce.

Le commerce ne se nourrit que d’échanges. Où l’on ne produit rien, on n’achète rien : car, en dernière analyse, on ne tire que de son industrie personnelle les moyens d’acheter les produits de l’industrie étrangère. Or, l’isthme caucasien est sans industrie et sans agriculture ; on n’y trouve en abondance que les bois de construction et le vin ; encore le vin ne peut-il devenir un objet de commerce faute de savoir le préparer et le garder. Quant à l’agriculture, elle est dans l’enfance, et nous avons déjà vu que, soit négligence, soit ignorance des habitans, elle ne saurait fournir la quantité de céréales que réclament les besoins d’une faible population, accrue de quarante mille soldats russes. Il n’y a donc pas d’échanges possibles avec ce pays. De plus, les communications intérieures, soit par terre, soit par eau, n’existent que sur les cartes officielles. Les rivières ne sont pas navigables, et le Phase lui-même ne porte bateau que jusqu’à une courte distance de son embouchure. Le petit nombre de chemins tracés est impraticable, infesté de montagnards, inaccessible aux caravanes et aux voyageurs s’ils n’ont sans cesse à leurs côtés une escorte de cosaques. Ajoutez à cela que le caractère sauvage et belliqueux des indigènes répugne aux travaux paisibles de l’agriculture et surtout aux spéculations de l’industrie, et que, pour introduire dans ce pays le germe d’une