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ASIE BRITANNIQUE.

les gouverneurs et les gouvernés, entre les maîtres et les sujets.

Il importe cependant de ne pas heurter les préjugés de ce peuple ; l’instant qui exciterait en lui un mouvement de colère pourrait bien aussi éveiller dans son ame le sentiment de sa force, instant terrible, et pour jamais fatal à la puissance britannique. C’est ce que paraissent ignorer la plupart des jeunes civilians[1] qui arrivent d’Europe. Ils affichent une sorte de mépris pour des usages qui diffèrent entièrement des mœurs européennes. Ils ne réfléchissent pas que ces usages, qui doivent presque tous leur origine à un principe religieux, ont acquis aujourd’hui l’autorité du temps, et qu’entreprendre de les détruire, soit par la violence, soit par le ridicule, ce serait imposer à une nation superstitieuse un joug mille fois plus dur que celui de la conquête.

Je ne veux citer ici qu’un seul exemple. Saluer une femme en public c’est offenser mortellement le mari ; c’est exposer cette femme à tous les excès d’une jalousie brutale. De jeunes étourdis affectent quelquefois cette marque d’intimité. Le fait suivant montre les conséquences fatales d’une conduite trop légère. Les circonstances en font frémir.

Un jeune juge fut envoyé dans l’intérieur d’une province, pour terminer un procès de longue durée qui exigeait un séjour de plusieurs mois. Arrivé dans la ville principale du district, il découvrit que la maison qu’il habitait dominait celle d’un raj-pout de distinction. Ce dernier avait une femme extrêmement belle, qu’il aimait passionnément. Le jeune Anglais ne l’eut pas plus tôt entrevue, qu’il conçut l’idée de la séduire ; toutefois, comme il ne pouvait trouver aucune occasion de lui parler, il s’efforça de communiquer par signes avec elle. Un voisin, témoin de ce qui se passait, en informa le mari. Comme le juge avait la réputation de courtiser le beau

  1. Employés de la compagnie.