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ARCHIVES HISTORIQUES.

La révolte des Cipayves fut aussi terrible qu’inattendue. Les liens qui unissaient les soldats et les chefs se trouvèrent soudain rompus. Ces peuples énergiques et superstitieux, dès que les préjugés de leurs castes leur parurent attaqués, ne virent plus que des ennemis dans ceux qu’ils avaient jusqu’ici appris à aimer et à respecter.

Un jeune officier européen, je crois encore le voir, se trouvait au milieu de ces furieux, qu’il cherchait en vain à calmer. Frère de lait d’un de ses soldats qu’il avait élevé au rang de caporal, il s’était acquis un grand ascendant sur sa compagnie. Confiant dans une amitié qu’il avait maintes fois éprouvée, il osa rappeler à ces hommes effrénés qu’ils devaient obéissance aux ordres de leur général. Des cris de rage et de mort étouffèrent sa voix, et le massacre commença. Déjà les rangs des Anglais s’éclaircissaient, et le jeune imprudent promenait des regards inquiets autour de lui, quand il aperçut son frère de lait. Un rayon d’espérance se glissa dans son cœur. « Dieu merci, s’écria-t-il, nous sommes sauvés ! j’aperçois mon frère. » Il courut aussitôt vers lui et lui demanda sa protection. L’Indien arma froidement son fusil, et au moment où l’officier allait renouveler ses instances, il se rejeta lentement en arrière et étendit son bienfaiteur roide mort à ses pieds. Pas un regret, pas un remords ne se peignit sur l’impassible visage du Cipaye. Le fanatisme religieux avait fait taire toutes les autres affections.

Mon tour arriva quelque temps après d’em-