Page:Revue des Deux Mondes - 1830 - tome 4.djvu/283

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
273
INDES ORIENTALES.

fort sombre, le ciel terne. Au-delà de la ligne équinoxiale, par un de ces hasards qui souvent s’offrent sur les mers, nous aperçûmes un navire à trois mâts ; nous lui donnâmes la chasse ; nous l’atteignîmes après-midi ; c’était le Gange et Garonne, navire de mille tonneaux, qui, pour la première fois, sillonnait les plaines de l’océan. Il était parti de Bordeaux dix jours après nous. C’est un plaisir de se rencontrer au milieu des solitudes de l’Atlantique, et ce plaisir est double lorsqu’on est compatriote. On ne saurait peindre l’effet de ces voix humaines qui se correspondent au milieu des mers, où, sans la présence d’une foule de cétacées qui se jouent sur les ondes, et d’une multitude d’oiseaux qui viennent récréer le navigateur, l’homme, placé entre les abîmes de l’océan et l’immensité du ciel, semblerait seul jeté sur ce vaste univers.

Nous mouillâmes vingt-quatre heures devant Sainte-Hélène. Ses rochers noirs et brûlés, et pendant au-dessus de nos têtes, me menacent encore. Je ne manquai pas d’aller saluer le tombeau du grand et belliqueux empereur. Je parcourus les lieux accoutumés de ses promenades solitaires.

Nous eûmes bientôt atteint les parages orageux du cap des Tempêtes. Avant d’arriver à la baie de la Table, nous éprouvâmes une tempête horrible qui dura six jours. Nous voyagions en pays de montagnes d’eau mugissantes, bien plus hautes que nos montagnes des Vosges ; les vagues agitaient le navire avec tant de violence, qu’on ne pouvait se tenir debout ; nous mangions couchés, et dans une obscurité profonde, car tout était fermé. On ne voyait ni soleil, ni étoiles. Nous étions dans les ténèbres comme des cadavres au fond de leurs tombeaux ; je me rappelai alors un vers d’Hafez, poète persan :

« Le bruit des flots est affreux au milieu des ténèbres de la nuit, celui qui voyage gaîment sur le rivage est loin de se faire une idée de nos maux. »

Je ne vous peindrai point la situation charmante de la ville du Cap, dans une vallée fertile, au milieu d’une mul-