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LITTÉRATURE.

pendant laquelle elle ne comprenait rien aux choses de la vie ; et redit encore adieu à ces jours, où travailler avec sa mère dans un petit salon de tapisserie, prier dans une grande église, chanter une romance en s’accompagnant du rebec, lire en cachette un livre de chevalerie, déchirer une fleur par curiosité, attendre les présens que son père lui faisait à la fête du bienheureux saint Jean, et chercher le sens des paroles qu’on n’achevait pas devant elle, étaient des sources intarissables de bonheur…

Mais aussitôt elle effaça par une pensée, comme on efface un mot crayonné sur un album, les enfantines joies que, pendant un moment, et entre deux souffrances, son imagination rapide venait de lui choisir parmi tous les tableaux que les seize premières années de sa vie pouvaient lui offrir. Et la grâce de cet océan limpide fut bientôt éclipsée par l’éclat d’un plus frais souvenir, car la joyeuse paix de son enfance lui apportait moins de douceur qu’un seul des troubles semés dans les deux dernières années de sa vie, années riches en trésors ensevelis pour toujours dans son cœur…

La comtesse se retrouva soudain à cette ravissante matinée où, précisément au coin du grand parloir en bois de chêne sculpté qui servait de salle à manger, elle vit son beau cousin pour la première fois. La famille de sa mère, redoutant les troubles de Paris, envoyait à Rouen ce jeune courtisan, dans l’espérance qu’il s’y formerait aux devoirs de la magistrature auprès de son grand-oncle, dont, un jour la charge de président pouvait lui être résignée.

La comtesse sourit involontairement en songeant à la vivacité avec laquelle elle s’était retirée en reconnaissant dans le parloir ce parent attendu qu’elle ne connaissait pas ; mais malgré sa promptitude à ouvrir et fermer la porte, son coup d’œil avait été si pénétrant, qu’en ce moment encore, il lui semblait le voir devant elle.

Elle avait, à la dérobée, admiré le goût et le luxe répandu sur des vêtemens faits à Paris ; mais aujourd’hui, plus hardie dans son souvenir qu’en cette innocente et furtive entrevue,