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L’ENFANT MAUDIT.

tait la jeune fille au moment où, pour la première fois, elle vit son amant. Aujourd’hui, pour être heureuse, elle doit oublier le passé et ne plus songer à l’avenir.

— Je ne me crois pas coupable, se dit-elle ; mais si je le parais aux yeux du comte… il est si jaloux ! La sainte Vierge n’a-t-elle pas…

Elle s’arrêta ; et, pendant ce moment d’irréflexion, sa naïveté lui fit attribuer aux adieux de son amant le pouvoir de la visitation de l’ange ; mais cette supposition, digne du temps d’innocence auquel sa rêverie l’avait si imprudemment reportée, s’évanouit devant le souvenir d’une scène plus odieuse que la mort. La pauvre comtesse ne pouvait plus conserver de doute sur la légitimité de l’enfant qui s’agitait dans son sein, car la première nuit des noces lui apparut dans toute son horreur, traînant à sa suite bien d’autres nuits, et de bien tristes jours !…

— Ah ! s’écria-t-elle, pauvre Chaverny !…

Alors elle pleura. Puis, se cramponnant à son chevet, elle tourna les yeux sur son mari, comme pour se persuader encore une fois que cette figure lui promettait une clémence si chèrement achetée…

Elle jeta un cri perçant.

Le comte était éveillé. Ses deux yeux gris, aussi clairs que ceux d’un tigre, brillaient sous les touffes brunes de ses sourcils, et lançaient un regard accusateur. Depuis un moment sans doute il contemplait sa femme.

La comtesse, épouvantée d’avoir rencontré ce terrible regard, se glissa sous la courtepointe, et resta sans mouvement.