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LITTÉRATURE.

Une chaîne d’argent soigneusement cachée mettait en mouvement, au moyen de fils invisibles, une sonnette placée au chevet du lit d’un serviteur fidèle.

Le comte voulant agir avec le plus grand secret, entra à tâtons, saisit la chaîne, et la tira doucement. Un vieil écuyer de garde ne tarda pas à faire retentir du bruit de ses bottes et de ses éperons les dalles sonores d’une vis en colimaçon, contenue dans la haute tourelle qui flanquait, du côté de la mer, l’angle occidental du château. En entendant monter le compagnon de ses périls, le comte alla dérouiller les puissans ressorts de fer et les verroux qui défendaient la porte secrète par laquelle la galerie communiquait avec la tourelle. Puis il introduisit dans ce sanctuaire de la science un homme d’armes dont l’encolure annonçait un serviteur digne du maître.

L’écuyer, à peine éveillé, semblait avoir marché par instinct. La lanterne de corne qu’il tenait à la main éclaira si faiblement la longue galerie, que son maître et lui se dessinèrent dans l’obscurité comme deux fantômes.

— Selle mon cheval de bataille à l’instant même, et prépare-toi à m’accompagner… dit le comte d’un son de voix profond qui réveilla toute l’intelligence du serviteur.

Ce dernier, levant les yeux sur son maître, rencontra un regard si perçant, qu’il en reçut comme une secousse électrique.

— Bertrand, ajouta le comte en posant la main droite sur le bras de l’écuyer, il faut quitter ta cuirasse et prendre les habits d’un capitaine de miquelets.

— Vive Dieu, monseigneur, me déguiser en ligueur !…Excusez-moi, je vous obéirai, mais j’aimerais autant être pendu !…

Le comte sourit comme un homme dont on caresse la chimère favorite ; mais, pour effacer ce rire qui contrastait avec l’expression sinistre répandue sur son visage, il répondit brusquement :

— Ah ça, choisis dans l’écurie un cheval assez vigoureux