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LITTÉRATURE.

eut mis sur sa tête un mauvais chapeau de feutre gris, orné d’une vieille plume de coq toute cassée. Il serra autour de ses reins un large ceinturon de cuir, dans la gaine duquel il passa une longue dague qu’il ne portait pas habituellement.

En ce moment, il s’avança vers le lit par un mouvement si étrange, et ses misérables vêtemens lui donnèrent un aspect si effrayant, que la comtesse crut sa dernière heure arrivée.

— Ah ! ne nous tuez pas ?… s’écria-t-elle. Laissez-moi mon enfant, et je vous aimerai !…

— Vous vous sentez donc bien coupable pour m’offrir, comme une rançon, l’amour que vous me devez !…

Ces paroles amères furent accompagnées d’un regard flamboyant, et la voix du comte eut un son lugubre sous le velours. La comtesse, anéantie, s’écria douloureusement :

— Mon Dieu, l’innocence serait-elle donc funeste !…

— Il ne s’agit pas de votre mort, lui répondit son maître en sortant de la rêverie où il était tombé, mais de faire exactement, et pour l’amour de moi, ce que je réclame en ce moment de vous.

Il jeta sur le lit un des deux masques qu’il tenait, et sourit de pitié en voyant le geste de frayeur involontaire arraché à sa femme par la chute du velours noir.

— Ayez ce masque sur votre visage lorsque je serai de retour, ajouta-t-il, je ne veux pas qu’un homme, même un croquant, puisse se vanter d’avoir vu la comtesse d’Hérouville !…

— Pourquoi un homme ?… demanda-t-elle à voix basse.

— Oh ! oh ! ma mie, ne suis-je pas le maître ici ? répondit le comte.

— Qu’importe un mystère de plus ?… dit la comtesse au désespoir. Le maître ayant disparu, son exclamation fut sans danger pour elle.

Par un des courts momens de calme qui séparaient les accès de la tempête, la comtesse entendit le pas de deux chevaux qui semblaient voler à travers les dunes périlleuses et les rochers sur lesquels ce vieux château était assis ; mais