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CORRESPONDANCE ET VARIÉTÉS.

nières, les larges festons de neige qui la sillonnaient, et la couleur grise et luisante des rochers se nuançaient dans leur parure comme sur un ample manteau, où les fondrières profondes, et tous les replis du terrain, ne figuraient autre chose que les ondulations et les reliefs d’une étoffe largement drapée. Et qu’on ne croie pas qu’il soit facile de dire alors : Ce sont là des arbres, des neiges ou des rochers ; il faut être singulièrement familiarisé avec la perspective de ces régions pour pouvoir ainsi assigner à chaque objet son nom, sa forme et sa distance, quand on en est seulement éloigné de quelques milliers de mètres ; et quand on y parvient, c’est la raison, l’expérience seules qui jugent et apprécient, car pour l’œil, il est toujours trompé. C’est une terre d’enchantement et de prestige, et pour peu qu’on ait su la comprendre, on pensera avec moi qu’il n’est point de pinceau, et surtout de crayon, qui ne recule devant une immensité si improvisée, si expressive, et pourtant si fugace.

La plume de l’écrivain ne sera pas plus heureuse sous certains rapports.

Guidée par le génie, on ne sait jusqu’où elle peut étendre son pouvoir ; son essor est incalculable, et il n’y a point de sujet si vaste, que d’un mot elle ne puisse embrasser. Elle peut s’élever à toute la sublimité des tableaux qui m’occupent ici ; elle peut faire sentir à l’âme quelque chose de l’ébranlement que lui en communiquerait la vue même. Mais ce n’est que par des généralités qu’elle peint avec ce succès ; ce n’est qu’en égarant notre imagination dans le brillant dédale de ses métaphores, et en fascinant nos yeux par des images plus vagues que ressemblantes, plus fantastiques que réelle. Le prosateur qui sort de cette sphère élevée pour entrer dans les détails devient en effet un peu plus clair et plus positif, mais aussi moins éclatant et plus froid ; il lutte alors désavantageusement avec les arts du dessin, et quelques efforts qu’il fasse, il ne peut en donner la précision à ses des-

    sure, et non à sa totalité prise de la base, qui se perdait au-dessous de nous.