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HISTOIRE. — PHILOSOPHIE.

« Hélas ! hélas ! dit la vierge innocente. Eh quoi ! mourir, mourir si jeune ! Mon œil s’est à peine abreuvé de la lumière du jour ! à peine ai-je respiré le doux parfum de la vie ! le décemvir veut-il donc ma mort ? Le patron qui me réclame, me réclame-t-il pour me faire mourir ? Ont-ils besoin du sang d’une fille plébéienne pour affermir leur empire ? Mais je n’ai point essayé de m’introduire au banquet de la cité. Eh quoi ! serais-je condamnée à mourir pour avoir savouré les innocentes délices de la musique ? »

« Ni le décemvir, ni le patron, ne veulent te faire mourir ! répond le centurion, mais ils veulent perpétuer l’opprobre de ce qu’ils appellent une race sans culte et sans dieux ! Non, ce n’est point pour affermir leur empire que le sang d’une vierge plébéienne est réclamé, c’est pour l’ébranler ! »

« Qui donc me donnera la mort ? » dit la jeune fille. Le père infortuné répond : « Celui qui t’a donné cette vie d’opprobre saura te donner une mort glorieuse ! »

« Vous, mon père ! dit avec terreur la jeune fille ; mais la ménade dont je vous rappelais l’histoire merveilleuse n’a point été immolée. Elle est morte de douleur… Ah ! laissez-moi mourir de douleur, mon père ! laissez-moi mourir de douleur ! »

Le juge, sur son siége, ne peut rien entendre de cet entretien extraordinaire, et pourtant il est plongé dans une morne stupeur. Il sent qu’un étrange complot se trame sous ses yeux.

Il fait un signe alors aux licteurs, pour leur ordonner de séparer le père de sa fille.

Un cri unanime d’effroi répond à ce signe du juge. Les licteurs, frappés du même sentiment que la multi-