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HISTOIRE. — PHILOSOPHIE.

l’étal un couteau brillant qui servait à égorger les douces brebis ou les jeunes génisses. Il s’en approche, tenant toujours sa fille reposée sur un de ses bras. Il saisit le couteau, et plonge la lame tout entière dans le sein de la vierge infortunée. La victime innocente s’agite faiblement sur le bras de son père, incline sa tête mourante sur l’épaule de celui qui lui donna la vie et qui lui donne la mort ; et, sans proférer aucune plainte, s’endort comme doucement bercée par les paroles harmonieuses qu’elle vient de faire entendre. La nourrice éplorée accourt, et reçoit dans ses bras la jeune fille qui n’est plus.

Le père malheureux retire le couteau de l’horrible blessure ; et, le montrant avec fureur au décemvir, il dit d’une voix concentrée : « Suis-je père enfin ? » Puis il s’écrie : « Ma fille a refusé de prononcer l’anathème, c’est moi qui le prononcerai ! Anathème donc à des lois odieuses ! »

« Anathème à des lois odieuses ! » crie, en frémissant, la multitude.

Alors le centurion, élevant l’arme funeste, dit : « Que ce couteau plébéien soit semblable au poignard de Brutus, le magnanime insensé ! que cet ignoble couteau soit, pour nous aussi, le signe de l’abolition de l’impunité ! »

La multitude répète les paroles du soldat revêtu, en ce moment, d’un sacerdoce cruel et sublime. La jeune fille sans nom qui lui fût propre a acquis un nom : c’est Virginie, la vierge plébéienne. Le père, à cause de sa fille, touchante victime, se nommera Virginius.

La multitude proclame ces deux noms nouveaux.

Le juge est frappé de stupeur sur son siége, les pa-