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Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 2.djvu/272

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LITTÉRATURE.

sa pipe de sa bouche, il montra sa tribu en sûreté sur la rive droite du Nil, et jetant les yeux vers le nord, il indiqua un point blanc qui s’agitait dans la plaine comme les ailes d’un papillon ; ce point grossit rapidement et devint le manteau flottant d’un Arabe, enfin un Bédouin à cheval, puis Souleyman, fils du cheik, en aussi peu de temps qu’il en faut pour lire le récit de son approche.

Le voir, c’était déjà l’avoir près de soi ; aussi prompt que le vent enflammé de son pays, il arriva sur ceux qui l’attendaient, comme s’il eût été emporté par le galop effréné de son cheval, et l’arrêtant tout à coup à la manière des Arabes par la subite secousse d’un mors déchirant, on vit cet animal superbe, raidissant ses jarrets vigoureux avec un effort pénible à voir, glisser dans un long espace jusqu’aux pieds d’Yâqoub, qu’il couvrit d’un nuage de poussière.

L’aspect du jeune Bédouin était étrange et sauvage : debout sur ses larges étriers, et assis sur le rempart élevé de sa selle orientale, tenant à peine l’extrémité de ses longues rênes séparées, il jetait autour de lui des regards farouches ; ses cheveux noirs à demi crépus formaient trois larges touffes sur sa tête, entourée d’un petit turban tissu de poils de chameau ; son teint presque noir, son nez aquilin, ses lèvres épaisses, évasées et faisant la moue : tous ses traits annonçaient l’homme du désert, un vrai fils de la race nomade. Un manteau large et blanc l’enveloppait tout entier, et ses deux extrémités flottantes derrière lui pendant sa course semblaient être deux larges ailes ; il portait à l’arçon de sa selle une sorte de sac, d’où tombaient sur le sable des taches rouges et larges.

— Que m’apportes-tu, Souleyman ? dit le cheik.

Celui-ci, sans répondre, saisit son offrande par cette longue touffe de cheveux que tout Musulman laisse croître sur sa tête, afin que l’ange Azraël l’emporte après sa mort chez les houris ; il la secoua en l’air avec mépris, et la jeta sur le sable, où elle entra en roulant. L’Européen détourna la vue un moment ; ensuite il se fit effort, et reporta les yeux