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UNE DÉBAUCHE.

Tous renonçaient à se glorifier de leur capacité intellectuelle pour revendiquer celle des tonneaux, des foudres, des cuves. Il semblait que chacun eût deux voix…

Un moment vint où les valets sourirent, car alors les maîtres parlaient tous à la fois…

Mais cette mêlée de paroles, où les paradoxes douteusement lumineux, les vérités grotesquement habillées se heurtèrent à travers les cris, les jugemens, les niaiseries, comme au milieu d’un combat se croisent les boulets, les balles et les fragmens de mitraille, eût sans doute intéressé quelque philosophe par la singularité des pensées, ou surpris un politique par la bizarrerie des systèmes. C’était tout à la fois un livre et un tableau.

Les philosophies, les religions, les morales, si différentes d’une latitude à l’autre, les gouvernemens, enfin tous les grands actes de l’intelligence humaine, tombèrent sous une faux aussi longue que celle du Temps ; et, peut-être, eussiez-vous pu difficilement décider si elle était maniée par la Sagesse ivre, ou par l’Ivresse devenue sage et clairvoyante.

Ces esprits emportés par une espèce de tempête semblaient vouloir, comme la mer irritée contre ses falaises, ébranler toutes les lois entre lesquelles flottent les civilisations, satisfaisant ainsi, sans le savoir, à l’arrêt dès long-temps porté par Dieu, qui laissa dans la nature le bien et le mal sans cesse en présence, en gardant pour lui le secret de leur lutte perpétuelle. Furieuse et burlesque, la discussion fut en quelque sorte un sabbat des intelligences. Mais entre les tristes plaisanteries, dites par ces enfans de la révolution, et les propos des buveurs tenus à la naissance de Pantagruel, il y avait tout l’abîme qui sépare le dix-neuvième siècle du seizième. Celui-ci apprêtait une destruction en riant, et le nôtre riait au milieu des ruines…

— Comment appelez-vous le jeune homme qui se trouve là-bas ?… dit le notaire en montrant Raphaël ; j’ai cru l’entendre nommer Valentin ?…