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ALBUM.

dément égoïste et vaniteux, qui aime une femme, non pour elle, non pour l’entourer de bonheur, de soins et d’hommages, pour la consoler des afflictions de famille et des froissemens du monde ; pour l’élever à ses propres yeux et aux yeux de tous, pour voiler ses fautes et dévoiler ses qualités, pour soutenir sa faiblesse et diriger sa marche ; mais qui l’aime pour lui-même, pour lui seul, pour accomplir son déshonneur comme on gagne un pari, avec une rage de joueur ; pour lui déclarer rudement qu’elle est sa propriété, pour la traîner à sa suite sous les lustres et les bougies, comme une victime ornée, pour lui faire fouler ses enfans aux pieds, pour anéantir son cœur de mère dans son sein, pour étouffer la prière sur sa bouche, et pour lui plonger un couteau dans la poitrine, comme Ali-Pacha égorge son esclave de peur qu’elle ne serre le vainqueur ; une fois, dis-je, ce caractère admis, rien de plus moral que ce drame accusé d’immoralité, car il épouvante les femmes en leur montrant quelle déloyale et cruelle puissance elles peuvent donner sur elles à ces caractères faussement exaltés et passionnés froidement. Oui, n’en doutez pas, c’est la leçon qu’a voulu donner l’auteur, car il doit savoir que l’amour est la plus sublime expression de la bonté, ou n’est rien.

On a regardé le caractère d’Antony comme impossible, comme hors de nature ; je pense au contraire qu’il est très-commun et des plus communs. Le nombre est incalculable d’hommes blasés, durs et athées, qui rougissent de cet état de leur cœur, et qui, pour arracher des succès d’amour-propre à des êtres facilement intimidés et éblouis, s’inventent des malheurs mystérieux et le plus byroniens possible, leur parlent de religion, sans croire seulement à l’âme, et de dévouement en méditant l’éclat de leur perte, et à force de se monter la tête, de se faire un héroïsme philosophique et une métaphysique de damné, sont forcés pour soutenir leur rôle de jouer le dernier coup du vice, en jetant le crime dans la partie. Les garnisons regorgent d’exemples pareils : il était bon d’en faire une grande satire, l’auteur d’Antony vient de