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LITTÉRATURE.

contrer à l’improviste dans l’âme de Farcy je ne sais quel endroit sensible, pétulant, récalcitrant, par où cette nature, douce et sauvage tout ensemble, lui échappait ; c’était comme un coup de jarret qui emportait le cerf dans les bois. Cette facilité à s’emporter et à s’effaroucher disparaissait de jour en jour chez Farcy. Il en était venu à tout considérer et à tout comprendre. Je le comparerais, pour la sagesse prématurée, à Vauvenargues, et plusieurs de ses pensées morales semblent écrites en prose par André Chénier :

« Le jeune homme est enthousiaste dans ses idées, âpre dans ses jugemens, passionné dans ses sentimens, audacieux et timide dans ses actions.

» Il n’a pas encore de position ni d’engagemens dans le monde ; ses actions et ses paroles sont sans conséquence.

» Il n’a pas encore d’idées arrêtées ; il cherche à connaître et vit avec les livres plus qu’avec les hommes ; il ramène tout, par désir d’unité, par élan de pensée, par ignorance, au point de vue le plus simple et le plus abstrait ; il raisonne au lieu d’observer, il est logicien intraitable ; le droit, non-seulement domine, mais opprime le fait.

» Plus tard on apprend que toute doctrine a sa raison, tout intérêt son droit, toute action son explication et presque son excuse.

» On s’établit dans la vie ; on est las de ce qu’il y a de raide et de contemplatif dans les premières années de la jeunesse ; on est un peu plus avant dans le secret des dieux ; on sent qu’on a à vivre pour soi, pour son bien-être, son plaisir, pour le développement de toutes ses facultés, et non-seulement pour réaliser un type abstrait et simple ; on vit de tout son corps et de toute son âme, avec des hommes et non seul avec des idées. Le sentiment de la vie, de l’effort contraire, de l’action et de la réaction, remplace la conception de l’idée abstraite et subtile, et morte, pour