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SCÈNES DU DÉSERT.

d’un serpent avant d’arriver au réceptacle du tabac, posé au milieu du cercle comme un vase ou un encensoir ; son aspect était vénérable par la noblesse de ses traits alongés et amaigris, l’expression de ses yeux noirs et bien fendus était fort douce ; mais le sourire de ses lèvres épaisses, trait particulier aux Arabes, était une sorte de convulsion sauvage qui, à la manière du tigre, découvre des dents luisantes que l’on croirait prêtes à mordre ; une barbe blanche et droite tombait en touffes inégales et désordonnées sur la poitrine nue de cet homme ; un schall était négligemment noué sur sa tête chauve, et un vaste manteau blanc, drapé autour de son corps avec un art connu des Orientaux seuls, cachait des membres nerveux et bruns, et des bras nus qu’il découvrait en parlant, et dont il montrait complaisamment la force.

Devant lui, une jeune fille, d’environ quatorze ans, était si mollement couchée, qu’on l’aurait crue endormie. Deux coussins d’une étoffe brune déchirée en plusieurs endroits, soutenaient son bras et sa tête. Un grand voile de toile blanche tombait derrière ses cheveux tressés en longues nattes, au bout desquelles pendaient de petites sonnettes d’argent, et des sequins d’or percés et attachés de distance en distance à chaque nœud des tresses. Tout son costume avait une forme voluptueuse et négligée, par on ne sait quel mélange de luxe oriental et de misère sauvage : une sorte de pantalon, d’une étoffe transparente, usée et ternie, laissait nue sa ceinture et son sein, et la couvrait jusqu’à ses pieds, très-petits et posés à nu sur des souliers de bois ; à son cou pendaient des colliers ornés de mille petites figures et soutenant deux petites boîtes, dont l’une contenait, selon l’usage, un verset du Koran, l’autre des essences. La beauté régulière de ses traits était admirable, sa bouche était petite et sérieuse, ses yeux grands et doux étaient abaissés avec leurs longues paupières sur une sorte de mandoline arabe à long manche et à trois cordes, appelée tan-bour, qu’elle effleurait presque sans bruit du bout des doigts. Deux choses de la nature et de l’art s’unissaient cependant pour donner à cette jeune fille un aspect moins