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SCÈNES DU DÉSERT.

murs sont chargés de dessins bizarres et d’hiéroglyphes qui sont encore très-mystérieux pour nous ; ce souterrain avait son entrée dans l’immense cour du palais de Medinet-Abou, qui avoisine un vieux temple et un pavillon, ancienne demeure des prêtres égyptiens. Le temps l’avait rendu possesseur des ruines extérieures et intérieures de ce gigantesque édifice, avec d’autant moins de résistance, que les misérables cahutes du village voisin étaient totalement abandonnées. Le pauvre moine se trouvait donc maître absolu de l’une des demeures des Pharaons, et officiait dans le sanctuaire de la déesse Isis, se voyant ainsi souverain spirituel et temporel d’un palais auprès duquel tous ceux de Rome et de l’Europe entière ne paraîtraient que des chaumines enfumées, ou des colifichets d’enfans. Cependant, quelque juste que soit l’enthousiasme qui nous porte à signaler ainsi la gloire de notre ami, nous devons dire qu’il n’était pas le premier religieux conquérant de ces magnifiques demeures ; elles portaient et portent encore les traces de tous les cultes qui furent en honneur dans l’Égypte : les chrétiens de la première Église de la Thébaïde avaient élevé une chapelle dans la cour du grand temple ; les Musulmans en firent depuis une mosquée, après l’avoir purifiée avec de l’eau rose ; mais le temps renversa bientôt ce faible édifice avec ses croix et ses croissans au pied des ruines impérissables qui l’entouraient comme des fortifications ; il n’en resta que quelques belles colonnes de granit rouge, d’un seul morceau, qui semblent placées là comme point de comparaison et de proportion entre le goût étroit, mesquin et joli de l’architecture moderne, et la simplicité grandiose, et la sublime beauté de l’architecture et de la statuaire antiques.

La nuit dans laquelle se passèrent les événemens très-simples que nous avons à raconter, était déjà très-avancée, lorsque le P. Servus Dei sortit de son souterrain, portant une lanterne sourde dans une main, et dans l’autre un pot d’argile très-pesant ; il monta dans les décombres, et, seul dans l’immense péristyle du palais découvert, il se dirigea d’un