Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 3.djvu/233

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
217
UN PASSEPORT POUR LA RUSSIE.

par un postillon presque ivre mort, versa violemment ; la secousse me jeta sur la route, ma figure porta d’abord, et je me relevai couvert de sang. Comme du reste je ne me sentais ni fracture, ni gêne dans les membres : bon, pensai-je, voici qui sert parfaitement les intentions de mon frère et les miennes. Je pourrai dire que dans cette chute mon porte-feuille s’est échappé de ma poche, et que l’étourdissement du coup m’en a fait oublier la recherche.

Dès que le grand-duc eut appris mon arrivée, il me fit ordonner de comparaître en sa présence. J’obéis, et lui récitai l’histoire préparée. Quelque trouble, sans doute, peint dans mes traits, éveilla sa défiance. Ses petits yeux gris-vert et très-vifs prirent une expression de menace. « Il y a un dessous de cartes dans cette affaire-là, me répondit-il. Je vais écrire à la frontière pour savoir si vous y êtes passé en règle. Retournez à votre auberge, et attendez. »

Ceci ne faisait pas mon compte. Pour rien au monde je n’aurais voulu compromettre l’obligeant chef de la douane. Je crus devoir aller me confier à M. le colonel, comte Hédouville, notre chargé d’affaires à Varsovie, en le priant de se faire ma caution, et de m’épargner ainsi l’embarras des investigations du grand-duc. Il me dit que rien ne lui était plus facile, et que le lendemain tout serait arrangé selon mes vœux.

En remettant mon passeport à M. le comte Hédouville pour lui montrer que je n’étais point sorti de France en fugitif, je lui demandai la promesse de garder le secret de mon passage à la frontière. « Pourquoi ferais-je cette révélation, me répondit-il ? elle n’est pas nécessaire. Tranquillisez-vous, ma responsabilité suffit pour lever toutes les difficultés. Aujourd’hui même je