même, avec l’âge et les distractions d’alentour, il revient moins volontiers sur un passé relativement obscur, sur des souvenirs trop émouvans qu’il craint de réveiller, sur des riens trop intimes dont il aime à garder le mystère ; et qu’ainsi, faute de s’y être pris à temps, cette réalité originelle du poète, cette formation première et continue, dont la postérité est si curieuse, s’évanouit dans une sorte de vague conjecture, ou se brise au hasard en quelques anecdotes altérées. L’incertitude planant sur les premières années d’un grand homme, semblera peut-être à certaines gens plus poétique : pour moi, je ne vois pas ce que perdraient Corneille et Molière à ce que leurs commencemens fussent mieux connus. Nous ne sommes plus tout-à-fait aux temps homériques où un nuage allait si bien sur un berceau. De nos jours, les poètes ont beau faire, la réalité les tient de toutes parts et les envahit ; ils sont, bon gré mal gré, un objet de publicité : on les coudoie, on les lithographie, on les lorgne à loisir, on a leur adresse dans l’almanach, et ce n’est qu’en vers que l’un d’entre eux a pu dire :
Ne connaît rien d’eux que leur voix.
Donc, Victor-Marie Hugo naquit en 1802 (26 février), dans Besançon, vieille ville espagnole, de Joseph-Léopold-Sigisbert Hugo, colonel du régiment en garnison, et de Sophie Trébuchet, fille d’un armateur de Nantes ; d’un père soldat et d’une mère vendéenne. Chétif et moribond, il n’avait que six semaines quand le régiment dut quitter Besançon pour l’île d’Elbe. L’enfant l’y suivit et y demeura jusqu’à l’âge de trois ans. La première langue qu’il balbutia fut l’italien des îles : la première nature qui se réfléchit dans sa prunelle fut cette âpre et sévère physionomie d’un lieu peu remarqué alors, désormais insigne. Cette jeune vie s’harmonisait déjà par des rapports anticipés et fortuits avec la grande