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LITTÉRATURE.

héros des Allemands, les chants russes de Wolodimer et l’Ossian gallique.

Ces fragmens sont de deux sortes, les uns lyriques, les autres épiques. Ce qui distingue les premiers de la plupart des chants slaves, c’est que plusieurs remontent à l’époque païenne. Il faut avouer que c’est une chose merveilleuse en lisant ces poèmes, de songer qu’une pensée, une plainte, un désir, un soupir échappé dans les langueurs de la vie primitive, à l’on ne sait quel descendant d’un Sarmate, en paissant ses troupeaux de chevaux sur le Danube, a eu en elle plus de durée et de vie que les révolutions des religions et des empires. Ce n’est donc pas de l’eau seulement que les larmes de l’homme, puisqu’une larme tombée ainsi, des yeux d’un pâtre sur l’herbe des Carpathes, laisse après des siècles sur la terre une empreinte éternelle. Ces chants n’ont pas la vivacité et les chutes redoublées de la ballade d’Écosse. Ils ne bondissent pas comme elle en cascades, de gradins en gradins sur la montagne. Ils auraient plutôt quelque analogie avec le chant populaire de l’Allemagne, si doux, si serein, qui se dit en rêvant, à demi-voix, dans les bateaux de pélerins, en tournant le rouet dans les châteaux des seigneurs, en veillant dans la nuit de Noël, en levant ses filets le soir le long des îles du Rhin. Mais leur repos est le repos des forêts primitives, toujours mêlé d’une horreur secrète. L’eau est dormante, le feuillage est assoupi, le cerf marche tranquillement dans les forêts, le cygne a plié son cou sous son aile ; mais dans le fond du bois l’ennemi est caché avec ses flèches, avec son cheval noir. C’est en effet le caractère de ces chants, qu’avec une douceur infinie, ils finissent presque tous par la mort, une mort résignée, facile, inévitable, la mort d’un oiseau devenu vieux, qui s’accroupit dans l’herbe, d’une feuille qui se fane, d’une branche qui tombe sans fracas dans la forêt. Je citerai deux de ces chants, le premier traduit par Goethe, le second beaucoup plus sévère et le plus ancien du recueil.