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RÉVOLUTION POLONAISE.

Les Russes étaient encore, malgré leur défaite, trois fois plus nombreux que les Polonais, et attendaient d’un instant à l’autre l’arrivée d’un de leurs meilleurs corps d’armée, les grenadiers de Schakhoffskoï. Retranchés dans l’épaisseur d’une forêt, ils avaient de plus l’avantage de voir sans être vus. Toutes les positions de l’ennemi, et les approvisionnemens de son armée, ne souffraient aucune difficulté, tandis que les Polonais, campés entre Praga et Grochow, tirant tous leurs vivres de Varsovie, et séparés d’elle par la Vistule, dont la débâcle était attendue à chaque instant, étaient menacés non-seulement de voir détruire le pont de bateaux qui réunit les deux rives, mais encore d’être séparés de leurs réserves, qui se trouvaient sur la rive gauche. Il est vrai que l’artillerie polonaise, bien que trois fois moins nombreuse que l’artillerie russe, lui était cependant supérieure ; mais, d’un autre côté, les Russes n’avaient qu’à rompre une fois la muraille vivante qu’on leur opposait pour lancer dans la plaine leurs cent trente-cinq escadrons de cavalerie et les onze régimens de cosaques jusqu’alors inactifs.

Le plan de campagne des Polonais avait été tracé par Chlopicki, qui ne voulait pas abandonner la défensive ; Radziwill l’avait adopté, et le général Prondzynski lui-même, qui était d’un avis contraire, finit par se laisser persuader qu’il valait mieux le continuer. Mais d’autres généraux pensaient qu’il fallait cerner l’ennemi, et lui couper les vivres par des attaques de partisans. Cependant, comme dans ce cas il ne s’agissait de rien moins que de prendre l’offensive, on s’en tint à l’avis de Chlopicki. « Je saurai bien forcer l’ennemi, disait celui-ci, à quitter sa position dans les bois : en combattant en rase campagne, sa défaite est certaine. » Mais l’humeur bizarre dont l’ex-dictateur avait donné tant de preuves pendant sa suprême magistrature, ne tarda pas à se manifester dans le camp, et ajouta encore aux divisions qui régnaient dans l’état-major. Demandait-on les ordres de Radziwill, Chlopicki donnait les siens ; s’adressait-on à lui-même, il répondait avec co-