cheter cette femme, et place-la dans mon harem afin que je la console.
Le drogman se précipita aux pieds du sublime dey, et lui répondit ces paroles en se frappant la poitrine très-violemment :
— Invincible dey, cette femme merveilleuse ne peut être achetée ni consolée, parce qu’elle est l’épouse chrétienne du secrétaire intime du capitaine du vieux roi du plus aimable peuple de la terre, dont les guerriers qui ne savaient que faire ont jugé à propos de détrôner votre grandeur. Et, dussé-je encourir à jamais votre disgrâce, je dois vous apprendre que les enfans de cette femme jouent sans respect au furet et à la clémusette avec vos pantouffles rouges, votre calendrier et le chasse-mouches avec lequel vous caressiez votre barbe, et faisiez frémir les envoyés des princes de l’univers.
À cette nouvelle, le puissant dey fut saisi d’une grande fureur ; mais comme il était doué de la prudence du serpent, il se contenta d’élever davantage le bras qu’il avait étendu ; il saisit ses lunettes, et les rapportant sur la manche de l’autre bras, il les essuya avec une résignation digne d’un fidèle croyant ; il soupira en regardant celle qu’il ne pouvait pas consoler, et dit ces superbes paroles :
— Dieu est Dieu, et Mahomed est son prophète.
— Hélas ! dit en baillant le sultan fort judicieux, voilà un sot conte que tu me fais, et le plus invraisemblable de tous. Ô Shéhérazade ! tu ferais bien mieux de me frotter la plante des pieds. »
— Hélas ! mes amis, j’avais cru jusqu’ici, comme le sultan immortel des Mille et une Nuits, que c’était un conte que toute cette aventure d’Alger, une histoire de nourrice, ou tout au plus une vieillerie d’avant la révolution, quelque chose comme la guerre de sept ans et la bataille de Rosback. A-t-on jamais vu dans Paris, me disais-je, les étendards conquis sur les janissaires de Staoueli, a-t-on vu quelque général piaffant sur les boulevards, suivi d’un Mamelouk, et ceint d’un cachemire ? A-t-on chanté des Te Deum dans