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DE LA PROPRIÉTÉ.

n’a été un couvent, ni une caserne. Pourquoi la vie militaire nous paraît-elle être si héroïque ? parce qu’elle demande le sacrifice le plus complet de l’individualité à une règle, à une discipline, un dévoûment de tous les instans à une mort toujours présente ? Mais c’est un état exceptionnel. La société peut avoir une armée ; mais elle ne saurait être une armée. La vie monastique s’élève également sur les débris de la liberté humaine qu’elle étouffe et qu’elle crucifie. Les manufactures, ces arsenaux de l’industrie, n’obtiennent souvent un plus grand nombre de produits qu’en faisant de la liberté humaine une machine dont elles abusent à merci.

Si l’individualité dans ses rapports avec l’association attachait son existence à une condition nécessaire, il serait précieux de la reconnaître ; or elle existe : c’est l’héritage. Un enfant est mis au monde par ses parens ; est-ce un privilége ? Deux êtres lui ont donné la vie ; sans eux il n’existerait pas, et dès lors soutient avec eux des rapports perpétuels et sacrés. Je consens à ce qu’on abolisse l’héritage à une condition, de m’indiquer la manière de se procurer des hommes, sans qu’ils aient un père et une mère. L’héritage n’est pas une idée conventionnelle, mais naturelle, qui se reproduit partout. Eh ! si nous sortons de la famille, l’histoire n’est qu’un immense héritage de joies et de misères, de ruines et de triomphes. Nous ne faisons que nous transmettre les uns aux autres le sang, la vie, les idées et le progrès. Mais pour revenir à l’enfant, il hérite de son père naturellement par une loi nécessaire que la législation civile doit reconnaître et ne peut changer. Un poète a peint admirablement un sage cachant sa vie au fond d’une vallée, seul, mais gardant toujours les liens qu’il n’est pas permis à l’homme de briser

Mais il eut sans goûter une science amère,
La loi de ses aïeux et le dieu de sa mère ;
Reçut sans la peser à nos poids inconstans,
Dans un cœur simple et pur la sagesse des temps,