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LITTÉRATURE.

était alors menacé, et il la conduisait à Tours chez une vieille parente à lui.

Bientôt la voiture roula sur le pavé de Tours, sur le pont, dans la rue, et bientôt elle s’arrêta devant l’hôtel antique où demeurait la ci-devant marquise de Belorgey.

C’était une de ces belles vieilles femmes, au teint pâle, à cheveux blancs, qui ont un sourire fin, qui semblent porter des paniers, et dont la tête est couronnée d’un bonnet dont la mode est inconnue. Portraits septuagénaires du siècle de Louis xv, ces femmes sont presque toujours caressantes, comme si elles aimaient encore ; moins pieuses que dévotes, et moins dévotes qu’elles n’en ont l’air ; toujours exhalant la poudre à la maréchale, contant bien, causant mieux, et riant plutôt d’un souvenir que d’une plaisanterie.

Quand une vieille femme de chambre vint annoncer à la marquise (car elle devait bientôt reprendre son titre) la visite d’un neveu qu’elle n’avait pas vu depuis le commencement de la guerre d’Espagne, elle ôta vivement ses lunettes, ferma la Galerie de l’ancienne Cour, son livre favori ; puis, retrouvant une sorte d’agilité, elle arriva sur son perron au moment où Victor et Julie en montaient les marches.

Les deux femmes se jetèrent un rapide coup-d’œil.

— Bonjour, ma chère tante, s’écria le colonel en saisissant la marquise, et l’embrassant avec précipitation ; je vous amène une jeune personne à garder. Je viens vous confier mon trésor ; ma Julie n’est ni coquette ni jalouse ; elle a une douceur d’ange… Mais elle ne se gâtera pas ici, j’espère !… dit-il en s’interrompant.

— Mauvais sujet !… répondit la marquise en lui lançant un regard moqueur.

Puis elle s’offrit, la première, avec une certaine grâce aimable, à embrasser Julie, qui restait passive, et paraissait plus embarrassée que curieuse.

— Nous allons faire connaissance, ma chère petite belle, reprit la marquise ; et ne vous effrayez pas trop de moi ; je tâche de n’être jamais vieille avec les jeunes gens…