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LITTÉRATURE.

— Oui capitaine…

— Pourquoi pas matelot ?…

— Parce que j’étais passager, capitaine.

— Et que faisais-tu à Lima ?…

— Je naviguais dans la mer du Sud… au service des Colombiens…

— Ah ! diable… As-tu des papiers ?…

— Non…

— Aucun ?

— Si… un certificat du capitaine de l’Alexandre… Le voici…

— Il est bon… Veux-tu venir à mon bord ?…

— Comme vous voudrez, mais je ne vous y engage guère.

— Comment ?

— Je m’entends, capitaine.

— Ne l’écoutez pas, dit Polard, c’est un braque ; d’ailleurs, il me doit deux mois d’auberge ; s’il fait l’original je le mets dehors, et il ira coucher et vivre où il voudra…

— Alors, capitaine, prenez-moi… mais tant pis pour vous…

— C’est dit, je t’arrête… Polard, envoyez-lui son coffre ici ; nous compterons après pour ce qu’il vous doit… Et toi, mon garçon, tu vas aller là-haut, on est en train de rider les haubans et d’enverguer un hunier ; nous verrons ce que tu sais… Vas… Voilà ta pièce d’amarrage (le denier d’adieu).

J’avoue que la bizarrerie de cet homme m’avait singulièrement frappé, et presque décidé à le retenir à mon bord.

D’ailleurs, sa figure, quoique sombre et triste, ne présageait rien de fatal…

Huit jours après, j’avais choisi La Joie pour maître d’équipage, car jamais matelot ne s’était montré plus habile, plus prompt, plus entendu, et plus au fait du service…

D’une régularité parfaite, il ne descendait jamais à terre ; son service fini, il allait s’asseoir dans les porte-haubans d’artimon, et restait là des heures entières sombre et silencieux.