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LITTÉRATURE.

votre dévoûment, je vais exiger de vous un sacrifice encore plus grand que ceux dont je devrais mieux reconnaître l’étendue… Mais, il le faut… Vous quitterez la France…

Arthur se leva.

— Oui, dit-il.

En ce moment, il montra M. d’Aiglemont, qui, tenant sa fille dans ses bras, parut de l’autre côté d’un chemin creux, sur la balustrade du château. Il y avait grimpé pour y faire sauter sa petite Hélène.

— Julie, je ne vous parlerai point de mon amour ; nos âmes se comprennent trop bien ; et quelque profonds, quelque secrets que fussent nos plaisirs de cœur, vous les avez tous partagés… Maintenant j’acquiers la délicieuse preuve de la constante sympathie de nos cœurs ; mais je fuirai… J’ai plusieurs fois calculé trop habilement les moyens de vous rendre veuve…

— Et moi aussi,… dit-elle en laissant paraître sur sa figure troublée les marques d’une surprise douloureuse…

Mais il y avait tant de vertu, tant de certitude d’elle-même, et les trophées de tant de victoires remportées sur elle-même, dans l’accent et le geste qui échappèrent à Julie, que lord Grenville demeura pétrifié d’admiration… L’ombre même du crime s’était évanouie dans cette naïve conscience… Un sentiment religieux dominait sur ce beau front, et devait toujours chasser les involontaires et mauvaises pensées dont notre imparfaite nature sera toujours tributaire, et qui montrent tout à la fois la grandeur et les périls de notre destinée.

— Votre mépris nous aurait sauvés !… dit-elle.

— Il m’aurait tuée… reprit-elle en baissant les yeux. — Vous ne me haïssez pas ?…

Ils restèrent encore un moment silencieux, occupés à dévorer leurs peines… Bonnes et mauvaises, leurs pensées étaient fidèlement les mêmes, et ils s’entendaient aussi bien dans leurs intimes plaisirs que dans leurs fécondes douleurs.

— Je ne dois pas murmurer… Le malheur de ma vie est mon ouvrage, ajouta-t-elle.