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LE MONT SAINT-BERNARD.

à peine la dernière mousse a fini de lancer ses aigrettes soyeuses et ses étoiles vertes entre les fentes d’un pic exposé au soleil, que les tapis serrés des lichens semblent se revêtir de couleurs plus brillantes, et se marier avec plus de grâce. Comme tous les objets de comparaison viennent à manquer, on est étonné de l’étendue de leurs draperies, de l’élégance de leurs franges, de la diversité de leurs nuances. Il y en a de bleuâtres qui courent sur les pentes inclinées comme des violettes ; il y en a de dorées qui pendent aux parois élevées, comme des giroflées ; et, cà et là, quelques marbrures d’un rose animé figurent de loin des touffes d’églantiers en fleurs ; illusions qui ne peuvent plus tromper ni le grimpereau bigarré, ni le coq de roche au cimier aurore. Elles ne sont faites que pour l’homme.

Encore quelques pas, et à vos pieds s’étend la neige des siècles ; et un petit bruit vous annonce le lac, murmurant faiblement sous sa voûte de glace. Du point que vous occupez s’épanchent deux torrens, dont le premier va tomber dans l’Adriatique, et le second dans la Méditerranée. Vos yeux peuvent s’étendre, d’un côté, sur l’horizon des anciens, voilà le monde de Périclès et de César ; de l’autre, sur l’horizon des modernes, voilà le monde de François Ier et de Napoléon. Vous n’êtes pas loin du Plan de Jupiter ; vous touchez au couvent de Saint-Bernard. Le rayon d’un quart de lieue peut faire passer sous vos regards toutes les solennités de la religion, de la nature et de l’histoire. Vous êtes arrivé en même temps à la plus haute habitation de la terre ancienne, et à la source de méditations la plus féconde qui soit ouverte à l’homme. Si vous n’éprouvez ici aucune sensation nouvelle, n’en cherchez désormais nulle part.

C’est ici l’ordre de mes impressions, mais je me suis arrêté au-dessous de la brusque avenue du couvent, pour récapituler celles qui avaient échappé à mon crayon. La contrée que je parcours depuis une demi-heure s’appelle la Vallée de la Mort ; elle est dominée par le Mont mort ; et tout ce qu’elle embrasse appartient à la mort, même ce qui annonce