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VOYAGES.

lieues de leur patrie, et sans aucun espoir apparent de pouvoir jamais y retourner. Ce qui doubla ma satisfaction, ce fut de voir que plusieurs de ces hommes méritaient réellement les preuves d’intérêt que nous venions de leur donner, en bravant les derniers périls pour les délivrer.

Le pauvre Bellanger avait été si affecté de sa captivité, qu’il en avait perdu toute envie de manger, et pour lui faire prendre des alimens, les sauvages étaient obligés de le menacer de le tuer. Le jeune Bouroul, la première nuit, s’était enfui, et une pagaie à la main, chercha long-temps une pirogue pour rejoindre la corvette ; mais il s’égara dans les bois et les naturels le rattrapèrent. Fabry, Della-Maria et même Grasse, si je devais les croire, auraient toujours désiré rentrer à leur poste, malgré toutes les insinuations des naturels pour les engager à s’établir à Tonga-Tabou. Martineng seul, homme adroit et rusé, paraissait avoir nourri, jusqu’à la fin, le désir de rester dans l’île, et ce n’aurait été que la veille au soir qu’il se serait décidé à rallier son bord et à séparer sa cause de celle de Simonnet et de Reboul.

Simonnet était un véritable scélérat, déjà puni à bord comme voleur et soupçonné d’autres crimes encore plus odieux. Il était assez naturel qu’il se décidât à rester au milieu d’un peuple sauvage, où son caractère entreprenant et son adresse au maniement des armes à feu pouvaient lui valoir une certaine considération. On l’avait entendu former des vœux pour la perte du navire, pour la mort des officiers, et l’on pensait même qu’il avait tiré le coup de fusil dirigé contre M. Guilbert, et qui perça le grand canot de part en part. Il était devenu publiquement le satellite de Tahofa, qu’il suivait partout le fusil sur l’épaule.

Je fus bien aise d’être débarrassé d’un aussi mauvais sujet, tout en regrettant qu’il eût réussi à débaucher l’imbécille Reboul, matelot passable et naturellement assez tranquille ; mais il était si borné, qu’il ne sentit probablement pas toute l’étendue de la faute qu’il commettait, en suivant les perfides suggestions de son compatriote Simonnet. Du reste,