Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 4.djvu/54

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
44
LITTÉRATURE.

renverser les vieilles femmes et les enfans qui se trouvaient sur son passage, il avait toujours bien soin, par un instinct machinal, guidé par cet invisible agent qui remplace la raison dans ses fréquens accès de sommeil, de ne point poser le pied sur les raies formées par la jonction des dalles ; et même lorsque la chaleur de la saison et les prévenantes attentions de sa bonne petite sœur, lui avaient permis de mettre un pantalon blanc, quelque étroit que fût un ruisseau, jamais il ne l’enjambait entièrement, mais il avait la précaution, en le traversant, de poser le talon sur un des pavés qui, plus élevé que les autres, et par conséquent plus vite séché, formait, de l’autre côté de ce fleuve de boue, une île qu’il rattachait au rivage, en y jetant son grand pied comme un pont sous lequel coulait l’eau noire.

Notre pauvre rêveur se serait à tout instant fort mal trouvé de son détachement de la vie positive ; mais, heureusement, il y a un dieu pour les ivrognes, quel que soit le vin qui leur avait troublé la raison, et Théodore avait dans sa sœur Dorothée un appui pour ses pas chancelans.

II. — LA SOEUR.

Plus âgée de dix-huit mois, Dorothée semblait avoir hérité de l’embonpoint de Théodore. Il était difficile de trouver deux frère et sœur qui se ressemblassent moins : le frère, grand, blond, pâle, maigre ; la sœur, petite, brune, rouge, grasse.

Leur voisin, M. Staarmatz, qui, séduit par les belles couleurs de la petite Dorothée, lui adressait de temps en temps des vers en cachette de sa femme, ne trouvait dans la nature rien d’assez rond, rien d’assez rouge à lui comparer.

Dieu, disait-il, l’avait créée ronde à l’image du globe : — c’étaient mieux que des roses qui croissaient sur ses joues ; c’étaient des œillets, des grenades, des coquelicots, des pommes d’api, des tomates ! — elles avaient la teinte de la pourpre, cette couleur royale ! — Et quand parfois, déten-