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SUR LA POLITIQUE RATIONNELLE,
Par M. Alphonse de Lamartine[1].

Deux brochures, de deux hommes illustres, ont paru en même temps, et l’une a tout-à-fait éclipsé l’autre. Lorsque nous avons lu les deux écrits, la diversité du succès ne nous a nullement étonné. En France, en des temps d’émotion politique, un pamphlet étincelant et acéré prendra toujours le pas sur des considérations calmes, désintéressées, et lumineuses d’une douce et sereine lumière. M. de Chateaubriand, en se résignant à faire un appel à tous les partis véhémens, aux carlistes, aux bonapartistes, aux républicains, a pu être, chemin faisant, d’une utilité merveilleuse à la cause de l’opposition véritablement nationale : en revêtant de son style pompeux la plupart des argumens que cette opposition maintient depuis quinze mois, en les aiguisant de son ironie vengeresse, en les armant, pour ainsi dire, de ses lanières écarlates, il a infligé bien des châtimens justes, et fait sonner sur les têtes bien des vérités. L’opposition nationale lui a donc su gré de son écrit presque à l’égal de l’opposition carliste ; mais, suivant nous, elle a été trop aveugle ou trop complice dans sa reconnaissance ; elle n’a pas assez dit que ces argumens du noble écrivain, elle les reprenait parce qu’ils étaient siens, et qu’ils lui semblaient vrais et utiles ; elle n’a pas assez caractérisé, du reste, cet écrit de passion équivoque et de personnalité incurable ; elle n’a pas assez rappelé à l’écrivain bruyant et glorieux, à l’égoïste drapé de pourpre et resplendissant, à l’homme d’état incapable, toute l’incohérence de ses prétentions, toute l’outrecuidance de ses chimères ; elle n’a pas assez voulu connaître et discerner les élémens mélangés de cette explosion soudaine, et les préparations toutes petites de ce grand succès littéraire ; elle y a donné trop en plein ; elle y a aidé avec trop de candeur, et a prêté flanc ainsi, du côté des défenseurs du pouvoir, à de singuliers et fâcheux rapprochemens. M. de Chateaubriand, écrivain de génie, mais écrivain plus brillant que sensé et profond, mais écri-

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