Il est de mon devoir d’historien de ne rien vous laisser ignorer, mes chers lecteurs. Ce devoir, je le remplirai scrupuleusement ; mais, pour Dieu ! n’abusez pas de ma franchise, ne me supposez pas d’arrière-pensées. Ma seule intention est que, dans vos relations avec mes personnages, vous sachiez bien à qui vous avez affaire ; c’est dans ce seul but, et désavouant d’avance toute induction, que je vous préviens qu’Henriette vient d’avoir quinze ans, qu’elle a toujours vécu fort retirée dans la société de ses père et mère, et que Théodore est le seul jeune homme qui habite dans la maison.
— « Savez-vous, mon cher Staarmatz, que la petite Rauer est une délicieuse créature, disait une après-dînée le conseiller de légation Hurbrand, la voyant assise près d’une fenêtre avec Dorothée, à qui elle était venue rendre sa visite accoutumée ; voyez donc ses grands yeux bleus ! » — « J’aime mieux les noirs, dit M. Staarmatz en regardant Dorothée. » — « Ses joues d’un rose transparent. » — « Un peu pâle, dit M. Staarmatz. » — « Ses longs cheveux noirs, sa taille svelte et souple. » — « Un peu trop élancée, dit M. Staarmatz. » — « Savez-vous, mon cher, que cet ange embellirait singulièrement mon exil dans l’ambassade de Suède. Parbleu, Staarmatz, il faut que vous me présentiez au père. »
— « Cette petite Henriette, ma chère amie, fait vraiment des progrès surprenans : je ne lui aurais pas cru tant de dispositions pour la peinture. » — « Et notre Angélique donc ! s’empressa de répondre à son mari madame Rauer, qui préférait la cadette, parce qu’elle avait les cheveux blonds. Il faut rendre justice à Théodore ; c’est un excellent maître. Dans les commencemens, je répugnais un peu à lui confier tes filles : un garçon de cet âge s’amourache facilement ; je craignais qu’Henriette ne lui donnât de dangereuses distractions, et sans ce terme qui nous était dû, j’aurais eu de la peine à me décider ; mais je suis tout-à-fait revenue de mes préventions. Il est impossible d’être plus raisonnable ; il donne sa leçon avec une admirable exactitude ; il ne dit pas un mot qui n’ait rapport à la peinture ; ses regards sont con-