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SCÈNES HISTORIQUES.

Le second garde de la prévôté, en entendant ce nouvel ordre, revint sur le chevalier avec une rage que la mort affreuse de son compagnon ne faisait qu’augmenter : quant à celui-ci il paraissait absorbé dans la vue du spectacle que nous avons essayé de décrire ; ses yeux étaient fixés vers l’endroit où le cheval et le cavalier avaient disparu, et il est évident qu’il n’avait pas cru d’abord à la gravité du combat où il se trouvait engagé. Il ne revint à lui qu’en apercevant flamboyer au-dessus de sa tête une espèce d’éclair ; c’était l’épée que son second ennemi tenait à deux mains et qui tournoyait avant de s’abattre ; entre cette épée et le front il n’y avait que deux pieds, à peine s’il y avait une seconde entre le coup et la mort, un bond en avant jeta le chevalier côte à côte du soldat, qui, droit sur ses étriers, les mains derrière la tête, s’apprêtait à frapper. De son bras gauche, il le saisit, enveloppant à la fois ses bras et sa tête sous son épaule, avec une vigueur dont on l’aurait cru incapable ; il le renversa de la première secousse ployé sur la croupe de son cheval, et d’un coup d’œil rapide il chercha sur cet homme bardé de fer un passage pour la mort. La position courbée dans laquelle il l’avait mis, soulevait le gorgerin du casque, et dans l’étroit intervalle qui se trouvait entre les deux lames d’acier, une épée aussi finie que celle du chevalier pouvait seule passer. Elle y passa deux fois, ressortit deux fois sanglante, et lorsque de sa main gauche il lâcha la tête et les bras de son adversaire, que de la droite il secoua son épée, un soupir étouffé dans le casque du soldat annonça qu’il avait cessé d’exister.

Bourdon était resté au milieu de la route : il avait tourné la tête de son cheval vers la troupe du roi, et là, exalté par son double triomphe, il raillait et défiait. Duchatel hésitait à renouveler aux hommes qui l’accompagnaient l’ordre de l’arrêter, et délibérait s’il ne valait pas mieux qu’il remplît lui-même cette mission, lorsque le comte d’Armagnac, lassé de ses retardemens, fit un signe. La petite troupe s’écarta pour le laisser passer ; le géant s’avança lentement vers le chevalier, s’arrêta à dix pas de lui : — Chevalier de Bourdon,