Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 4.djvu/657

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
641
SCÈNES HISTORIQUES.

duisent vivant à une autre prison, suis-le jusqu’à la porte ; s’ils l’assassinent, accompagne son corps jusqu’au tombeau, et dans l’un ou l’autre cas, reviens me le dire, afin que, vivant ou mort, je sache où il est.

Leclerc fit un mouvement pour sortir ; la reine l’arrêta.

— Par ici, dit-elle, en mettant le doigt sur sa bouche.

Elle rouvrit la porte du cabinet, poussa un ressort, la boiserie glissa, et présenta les marches d’un escalier pratiqué dans le mur.

— Suivez-moi, Leclerc, dit la reine.

Et l’impérieuse Isabeau, redevenue femme et tremblante, prit la main de l’humble vendeur de fer, qui, à cette heure, était toute son espérance ; elle le conduisit, marchant la première, le garantissant des angles de murailles, sondant le terrain du pied dans le corridor étroit et sombre où ils étaient engagés. Après quelques détours, Leclerc aperçut le jour à travers les fentes d’une porte ; la reine l’entr’ouvrit ; elle donnait sur un jardin isolé, au bout duquel se trouvait le rempart ; elle suivit des yeux le jeune homme, qui monta sur la muraille, lui fit de la main un dernier signe d’espérance et de respect, et disparut en sautant par-dessus le rempart.

La confusion était telle que personne ne le vit.

Pendant que la reine retourne dans son appartement, suivons Leclerc qui gagne, à travers plaine, la Bastille, descend sans s’arrêter la rue Saint-Antoine, passe sur la Grève, jette un coup-d’œil inquiet sur le gibet qui étend son bras décharné du côté de l’eau, s’arrête un instant pour respirer sur le pont Notre-Dame, atteint l’angle du bâtiment de la Grande-Boucherie, et s’apercevant que de là rien ne peut entrer au grand Châtelet ni en sortir sans qu’il le voie, se mêle à un groupe de bourgeois qui parlaient de l’arrestation du chevalier.

— Je vous assure, maître Bourdichon, disait une vieille femme à un bourgeois qu’elle arrêtait par le bouton de son pourpoint, afin de le forcer à lui prêter une attention plus