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L’AUTRE CHAMBRE.

s’en revenait lentement au logis, par la rue Large, lorsqu’il passa près d’une de ces boutiques en plein vent. La marchande était une brune assez piquante, au nez retroussé, aux yeux verts.

Théodore, qui avait puisé quelque peu de hardiesse au fond de son verre, s’arrêta devant elle, hasarda quelques complimens, et se trouva engagé à risquer, à une loterie qu’elle tenait, les derniers groschen dont sa bonne petite sœur avait le matin garni sa bourse.

La fortune ne lui fut pas tout-à-fait contraire, et il gagna à cette loterie une espèce d’étui de métal que la jolie marchande lui présenta d’un air gracieux, mais avec un sourire bizarre. Quoiqu’elle le lui eût vanté comme une invention nouvelle, il le prit sans y faire attention et sans en demander l’usage, tout distrait par la main blanche et potelée qui le lui offrait, et préoccupé surtout par l’étrange expression de ces yeux verts.

Lorsqu’il arriva chez lui, la chambre était dans une obscurité complète. Il tâcha de s’orienter ; mais il ne reconnaissait plus rien : il eut beau étendre prudemment les bras, à chaque instant un meuble semblait venir au-devant de lui et le heurter. Il avait reçu bien des contusions, et il commençait à se croire entré par méprise chez un de ses voisins, quand heureusement il parvint à retrouver son lit : « Dorothée, se dit-il, a fait encore quelque déménagement. »

Il venait de se déshabiller à tâtons, et il allait se coucher, lorsqu’il trouva dans une des poches de sa redingote, qu’il vidait machinalement dans son chapeau, selon son habitude de tous les soirs, cet étui de métal que la jolie marchande aux yeux verts lui avait donné avec ce sourire bizarre dont il avait eu l’esprit si frappé. Quoique l’obscurité fût profonde, il l’ouvrit sans trop savoir ce qu’il faisait, et il aperçut dedans comme un brouillard lumineux qu’entourait un cercle d’un rouge éclatant.

Tout à coup, du sein de ce brouillard lumineux s’élance un serpent bleu qui sifflait et jetait des flammes, et qui lui