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LITTÉRATURE.

— « La pourpre, dit Théodore d’un ton solennel, la pourpre coule le long des murs du palais enchanté. Le soleil dore la cime de ses flots. — Me voici, ô le plus mélodieux des rossignols, chante, chante, je t’écoute ! — Me voici, ô la plus fraîche des roses ! tourne vers moi ta bouche parfumée. — Me voici, me voici, ô la plus vermeille des pêches, tends-moi tes grosses joues, tes joues rebondies, que j’y dépose un amoureux baiser. »

Dorothée, impatientée du peu d’attention que son frère accordait à ce magnifique ameublement, dont elle s’attendait à le voir si émerveillé, allait se fâcher sérieusement, lorsque Théodore poussa un cri effrayant. La vision de la veille, qui se déroulait peu à peu dans sa mémoire comme font ces petits écrans de cheminée, était arrivée à son terrible dénouement.

— « Ah ! mon dieu ! mon dieu ! que je suis malheureuse ! s’écria Dorothée, cherchant à ranimer son frère évanoui : voilà que le délire lui revient comme dans sa maladie ! Et moi, qui me promettais tant de plaisir à lui faire admirer tous mes beaux meubles. »

Nous sommes singulièrement organisés : Dorothée aimait tendrement son frère, et elle ressentit un vif chagrin de cette rechute ; mais je l’avouerai avec ma sincérité habituelle, elle eut encore plus de regret de voir manquer la surprise qu’elle lui préparait. Néanmoins elle ne négligea aucun des soins que réclamait l’état de son frère, et le marbre noir d’une jolie table de nuit toute neuve placée auprès du lit de notre pauvre visionnaire fut couvert en un instant d’une multitude de fioles et de bouteilles de toutes grandeurs ; et le lendemain soir, grâces à tous ces médicamens, à ce que prétendirent le médecin et l’apothicaire, le malade allait si bien, que sa bonne sœur put s’absenter sans la moindre inquiétude et aller avec sa chère Henriette, le conseiller de légation Hurbrand, toute la famille Rauer et M. et madame Staarmatz, voir les illuminations ainsi que le feu d’artifice qui devait se tirer Exercier-platz, à l’occasion des couches de la reine